Tel est le sens de nos lois, car elles sont encadrées, depuis 1804, par l’article 544 du Code civil. Or, le 544 n’a pas été écrit pour préserver la planète ou la biodiversité, ni écrit au nom de l’égalité ou du vivre-ensemble, mais pour servir les intérêts de ceux qui voulaient restaurer leurs privilèges perdus lors de la Révolution de 1789. Toujours en vigueur, il permet d’affirmer que l’environnement est privatif et non collectif : il appartient à celui qui le possède.
Cet article est la suite de celui publié le 15 décembre, merci de le lire avant
L’article 544 du Code civil est un obstacle juridique à la protection de l’environnement
À l’instar de l’intensification agricole, la disparition des vers de terre repose sur cet article de loi écrit il y a plus de deux siècles ! Alors que dit la Charte de l’environnement, cette brique de la Constitution française écrite en 2004 ? Incroyable : elle dit la même chose qu’en 1804 ! Elle légalise que l’habitat des vers de terre, à savoir le sol, ne fait pas partie de notre patrimoine commun ! Tout en laissant entendre qu’il pourrait en faire partie ! C’est vicieux, c’est trompeur, je vous l’accorde, mais ce n’est pas innocent. Je m’explique.
La Charte dit « Que l’environnement est le patrimoine commun des êtres humains. » et « Que l’avenir et l’existence même de l’humanité sont indissociables de son milieu naturel. » Cependant, l’article L.110-1 du Code de l’environnement, qui en définit le champ d’application, est rédigé pour — si je peux m’exprimer ainsi — ni vu ni connu, noyer le poisson : « I. – Les espaces, ressources et milieux naturels terrestres et marins, les sons et odeurs qui les caractérisent, les sites, les paysages diurnes et nocturnes, la qualité de l’air, la qualité de l’eau, les êtres vivants et la biodiversité font partie du patrimoine commun de la nation. » L’article précise que « Les processus biologiques, les sols et la géodiversité concourent à la constitution de ce patrimoine. »
La géodiversité, c’est la diversité géologique ! Quant au mot « sol », il est défini, comme en 1804 : « Partie de la croûte terrestre, à l’état naturel ou aménagée, sur laquelle on se tient et se déplace, » (source). Une matière inerte et privée. Le 24 mars 2021, le groupe parlementaire des Socialistes et apparentés a proposé de modifier cet article de loi afin que le sol soit enfin reconnu comme un élément de notre patrimoine commun (source). L’amendement a été refusé ! Les parlementaires ont refusé de considérer les sols – l’habitat des vers de terre et la source de 95 % de notre alimentation – comme un patrimoine commun de la nation française.
Hallucinant
Contrairement à une église, un château ou une œuvre d’art, nous n’avons aucune obligation à transmettre aux générations futures des sols nourriciers !
Dire que nos lois sont écrites par des personnes diplômées, et parfois surdiplômées, quel dommage que leurs diplômes ne les protègent pas du crétinisme. Sérieusement, ces gens-là sont tout de même censés incarner l’élite intellectuelle de notre pays ! À moins qu’ils ne soient que de gentils toutous au service des puissants. Bref, il reste un point à éclaircir pour savoir ce que cache ce pilier de la Charte de l’environnement : « Que l’avenir et l’existence même de l’humanité sont indissociables de son milieu naturel. » Qu’entend-on exactement par milieu naturel ? S’agit-il d’un milieu géographique, de la nature, de l’environnement ?
L’environnement, c’ quoi ?
On pense naturellement à ce qui nous environne, ce qui est autour de nous, dans notre environ. Pour ma part, je suis né dans un environnement de forêts de chênes verts, remplacées depuis par du maïs. Certes, le maïs est vert, mais quel est l’environnement de référence : la forêt ou le maïs ? Aujourd’hui, je vis en Limousin, entouré de forêts rasées à blanc en toute légalité et de paysages défigurés en un rien de temps grâce aux abatteuses. Mon environnement : est-ce l’avant ou l’après ?
Nous, les Occidentaux, nous avons été contraints de croire pendant très longtemps que l’univers tournait autour de la Terre. C’était la loi et il était interdit de penser autre chose. Et ne pas croire que la Terre était immobile au centre d’un univers qui tourne autour d’elle, était punissable de la peine de mort. D’accord, les choses ont changé, même si un Français sur dix continue de croire que la Terre est plate et que les violences contre les défenseurs de l’environnement sont en forte croissance. En 2023, 200 défenseurs ont été assassinés à travers le monde.
Présentement, l’environnement est toujours défini par ce qui nous entoure, comme si nous étions le centre du monde ! Sur ce point, nous n’avons pas changé d’un iota. MOI, je ; je suis le Tout-puissant, un comportement pathologiquement narcissique. D’ailleurs, l’environnement d’un château est protégé par la loi, mais pas l’environnement en tant que tel. Les arbres entourant un château sont protégés, non pas parce qu’ils sont des arbres, mais uniquement parce qu’ils constituent un élément de décor.
Le droit à l’environnement pose clairement la question
L’environnement : doit-on le penser à partir d’une seule espèce, la nôtre, alors qu’une espèce n’a pas de sens en dehors de son écosystème ? C’est l’évolution des espèces qui nous l’enseigne. Or, le concept de « nature », qui vise à mettre de la distance entre les humains et les non-humains, postule que l’humain ne serait pas un mammifère comme les autres, mais une sorte de créature élue qui aurait plus de droits que les pièces rapportées !
Et au sein d’Homo sapiens, certains primates auraient encore plus de droits… Rappelez-vous que le Code civil a été rédigé par les puissants et dans le seul but de préserver et accroître leurs privilèges.
Le député et agronome Pierre Joigneaux écrit en 1849 dans l’une de ses lettres, D’un Paysan aux cultivateurs : « Les vieux partis qui s’en vont sont comme les gens qui se noient ; ils s’accrochent à toutes les branches pour se sauver. Jugez-en plutôt par les efforts désespérés des royalistes. Ils ne veulent pas comprendre qu’ils ont fait leur temps et que les morts ne reviennent plus, comme aux beaux jours des gros miracles. » Mais l’histoire lui a donné tort, ils n’ont rien lâché.
Le droit de chasse est révélateur. Lié à la propriété, les propriétaires possédant plus de 20 hectares d’un seul tenant sont les seuls à bénéficier du droit d’y chasser… Du coup, un grand propriétaire peut chasser sur les terres des petits propriétaires ou des fermiers, mais la loi interdit aux petits de chasser sur les terres des grands !
Au 544 s’ajoute la brutalité du 552
Tant que l’article 544 du Code civil ne sera pas actualisé, rien ne peut changer. Et comme le précise l’article 552 du Code civil depuis 1804 : « La propriété du sol emporte la propriété du dessus et du dessous… / Le propriétaire peut faire au-dessus toutes les plantations et constructions qu’il juge à propos… » C’est clair, l’environnement est privatif et non collectif : c’est un bien collectif géré par des intérêts privés !
- Je publierai la conclusion en janvier 2025, complétée par l’avis de Mathilde Lacaze-Masmonteil, avocate intervenant en droit de l’environnement et enseignante à l’Université Paris-Saclay.
- Cette semaine, Village magazine a publié un article sur mon travail : Lire
- Communiqué de presse de mon éditeur : Lire
Sortie le 30 janvier prochain
L’Éloge du ver de terre n°1 est définitivement épuisé,
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