Comment expliquer une telle défaillance de notre système législatif ?
Tout simplement parce que le droit français n’a pas été écrit pour préserver la planète, la biodiversité ou faire communauté ! Ni écrit au nom de l’égalité, de la fraternité ou du vivre-ensemble, mais pour servir les intérêts de ceux qui voulaient restaurer leurs privilèges perdus lors de la Révolution de 1789.
Mais le plus inquiétant, c’est que certaines lois continuent de se référer aux connaissances scientifiques de cette époque !
Publié 15 ans après la Révolution française, le 21 mars 1804, le Code civil fonde tous nos droits et devoirs en regroupant l’ensemble des lois et règlements. Il est le reflet de notre humanité. Des lois à l’époque compatibles avec la déportation des personnes de couleur noire et qui ont renforcé le patriarcat en dégradant la personnalité juridique des femmes.
Code civil – Article 213
« Le mari doit protection à sa femme, la femme obéissance à son mari. » Comme un animal domestique, la femme doit obéissance à son maître ! Un article de loi inspiré de la Bible : « Dieu dit à la femme : J’augmenterai la souffrance de tes grossesses, tu enfanteras avec douleur, et tes désirs se porteront vers ton mari, mais il dominera sur toi. » Jusqu’en 1971, le mari était le chef de la famille, aujourd’hui : « Les époux assurent ensemble la direction morale et matérielle de la famille. »
Quant à la femme noire, jusqu’en 1848, elle était bête de somme, objet sexuel et mère porteuse ; ses enfants naissant propriété du maître de maison. Et pour illustrer notre nature profonde, suite à l’abolition de l’esclavage, les maîtres ont été dédommagés pour cette perte de capital avec l’argent des contribuables ! Ajoutons à cette sombritude que le Pakistan n’a aboli l’esclavage qu’en 1992 !
Pour l’anecdote, j’ai vu de mes propres yeux les conditions inhumaines des enfants esclaves quelques années auparavant, à l’occasion d’un reportage dans le désert du Thar frontalier. Si officiellement l’esclavage est aboli dans le monde, il perdure, comme en Inde où ils seraient encore plus de dix millions (source) ! Bref, revenons à nos moutons.
L’article 544 est inchangé depuis 1804 !
Il s’agit du droit de propriété : « La propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements. » Un droit privé et inaliénable qui repose donc sur l’habitat des vers de terre… Je fais ce que je veux chez moi tant que la loi ne me l’interdit pas, tel est son sens.
L’article 544 a été rédigé dans un contexte intellectuel où le sol, fondement de la propriété, était vu comme un milieu inerte. Or, nous avons découvert depuis qu’il n’était pas inerte, mais vivant ! Mieux, les dernières avancées scientifiques révèlent qu’il est même le premier réservoir mondial de biodiversité. En effet, on croyait jusqu’alors que les sols abritaient 25 % de la biodiversité, finalement c’est plus de la moitié, en moyenne 59 % (source). Juridiquement, ça change tout, les vivants et les morts n’ayant pas les mêmes droits.
Petite note contextuelle. Au 19e siècle, au sujet de la propriété, le député et agronome Pierre Joigneaux rapporte dans ses écrits que son père lui racontait qu’à peine la Révolution terminée, l’aristocratie cherchait déjà à récupérer ses biens, en particulier ses terres. Des biens bien mal acquis par ailleurs, obtenus au nom du droit divin et par la violence, le servage et l’esclavage.
En 1804, c’est la croyance qui fonde l’art. 544
Le sol était alors considéré comme un milieu ténébreux ; nous savons aujourd’hui que la vie sur terre naît de la vie sous terre. Pourtant nos lois continuent de tourner le dos à cette réalité scientifique aussi robuste que la Terre est ronde. Le sol n’est pas mort, mais vivant, une vérité rejetée par les créationnistes – qui font rage chez les conservateurs américains -, où la Bible est toujours vue comme un manuel de sciences ! Un créationniste refuse l’évolution des espèces et croit que chaque être vivant est tel qu’il a été créé par Dieu — sauf pour les vers de terre…
En 1804, on croit que les vers de terre sont des parasites qui mangent les racines des cultures ! On croit qu’il faut les exterminer, et on le croit d’autant plus parce qu’ils ne figurent pas sur la liste des êtres créés par Dieu dans la mythologie biblique. Habitant là où pourrissent les dépouilles de nos morts, gluants et hideux, ils étaient considérés comme des créatures démoniaques à éliminer. C’était le mot d’ordre à l’époque : les vers de terre sont des parasites comme les vers intestinaux !
Cette croyance est si fortement ancrée qu’elle est à l’origine de l’un des premiers pesticides – voire le premier – à base de vert-de-gris et dont l’usage est attesté dès le 18e siècle par l’abbé François Rozier, botaniste et agronome. Si ancrée et indétrônable que le protocole d’homologation des pesticides continue de s’y enraciner ! plutôt que de se fonder sur la réalité scientifique des sols vivants. Incroyable.
La préservation des vers de terre repose sur l’article 544 du Code civil et la brutalité du 552
Le développement agricole s’y appuie également, alors que dit la Charte de l’environnement, cette brique de la Constitution française depuis 2004 ? La suite la semaine prochaine.
Sortie le 30 janvier prochain
L’Éloge du ver de terre n°1 est définitivement épuisé,
et il ne reste que quelques exemplaires du n°2.
Disponibles en librairie ou dans notre boutique.
Les ventes financent ce site.