Quel choc de lire dans une tribune du Monde datée du 17/10/2024 : « Enfin, les surfaces agricoles sont devenues sources d’énergie, soit en produisant la matière organique (biomasse) qui sert à la méthanisation, soit en abritant des panneaux photovoltaïques au-dessus de cultures. »(source) Le Premier ministre exprimait la même satisfaction quelques jours plus tôt. Au fond, de quoi s’agit-il réellement ?
Si la photosynthèse convertit l’énergie solaire en biomasse (matière organique), produire de l’énergie à partir de cette biomasse revient à transformer cette énergie nutritive en gaz, électricité et biocarburants. C’est comme recharger son vélo électrique avec un groupe électrogène, c’est n’importe quoi ! Je m’explique.
La biomasse comprend les plantes, les arbres et les déchets organiques. C’est la matière vivante, l’énergie des sols vivants, la nourriture de la faune et des microbes souterrains qui créent la fertilité de nos sols agricoles. Elle est cruciale pour soutenir les écosystèmes et notre système alimentaire, outre de fonder l’agroécologie et toutes les formes d’agriculture naturelle.
Nota bene. L’agriculture naturelle n’est pas une agriculture au sens d’un retour à la nature, mais d’une qui coopère avec la nature au lieu de lui faire la guerre.
Valoriser la biomasse pour décarboner !!!
Lors de sa déclaration de politique générale, le Premier ministre a annoncé vouloir intensifier la production d’énergie à partir de la biomasse… en détournant une partie de l’alimentation des vers de terre pour produire de l’énergie : « En valorisant la biomasse pour décarboner efficacement la production de chaleur et de gaz, en développant la filière française des biocarburants pour l’aviation. »
Décarboner, c’est réduire nos émissions de carbone pour lutter contre le changement climatique. Sauf que le Premier ministre propose de décarboner l’atmosphère en les augmentant ! L’avis de l’ADEME, un établissement public, est éclairant à ce sujet ! « Pour atteindre cet objectif de neutralité mondiale, cela suppose de réduire drastiquement les émissions, qu’elles soient d’origine fossile ou issues de la matière vivante (biomasse), et d’autre part, augmenter les puits permettant la séquestration du carbone. » (source) Autrement dit, la production d’énergie à partir de la biomasse va accélérer le réchauffement climatique… sous couvert de transition énergétique.
Nota bene. Pour l’anecdote, le gouvernement prévoit d’amputer d’un tiers le budget de l’ADEME pour 2025 (source)
L’Humus
Rappelons que le sol est le premier réservoir mondial de biodiversité ! Et tel un rouage qui en entraîne un autre, la biodiversité souterraine entraîne la biodiversité aérienne. Mais voilà, ce réservoir ne vit pas que d’amour et d’eau fraîche… il se nourrit de la biomasse.
L’humus, c’est cette fine couche supérieure du sol, les 15 premiers centimètres où la vie souterraine se concentre et transforme la biomasse en engrais naturel pour les plantes. C’est l’habitat des vers de terre et des microbes, l’intestin des plantes, le berceau de notre civilisation. Pour rester « vivant », l’humus a besoin d’être nourri et la biomasse est sa nourriture.
La biomasse capte le carbone atmosphérique, la nourriture des vers de terre est carbonée, ce carbone sera détourné comme on détourne l’eau d’une rivière pour produire du gaz, de l’électricité et faire voler nos avions. Je schématise, mais c’est l’idée du Premier ministre Barnier : nourrir les moteurs d’avion plutôt que les vers de terre. En plus, ces cultures énergétiques vont intensifier l’usage des pesticides et des engrais, c’est aussi une porte ouverte aux OGM, un cadeau fait aux notables de la FNSEA sous couvert de transition énergétique.
Une artificialisation du cycle du carbone
Lorsqu’on méthanise la biomasse pour produire de l’énergie, ou qu’on fabrique des biocarburants à partir de blé, de maïs ou de betterave sucrière, on casse le cycle naturel du carbone, car celui-ci ne passe plus par le sol. À peine est-il absorbé par la plante qu’il est déjà renvoyé dans l’atmosphère ! On accélère le cycle, on l’intensifie, car naturellement et tout comme les cycles de l’eau et de l’azote, le carbone séjourne longtemps dans le sol, parfois pendant plus d’un demi-siècle.
Pour avoir des hirondelles dans le ciel,
il faut des vaches dans les champs !
Une vache fait en moyenne 12 bouses par jour. Les mouches se nourrissent de leurs bouses et les hirondelles se nourrissent de mouches. Par ailleurs, une simple bouse de vache sèche séquestre le carbone dans les sols jusqu’à 5 ans. Transformée en gaz ou en électricité, elle le séquestre pendant 2 ou 3 semaines… Mais pour extraire le carbone des bouses et en faire de l’énergie, il faut renfermer les vaches pour récupérer leurs bouses ! Bilan : les vaches sont malheureuses et les hirondelles n’ont plus de mouches.
Et pour nourrir les vaches confinées, il faut augmenter nos émissions de carbone pour nourrir les moteurs des machines agricoles chargés de produire leur nourriture. Quant aux vers de terre, qui se nourrissent du jus des bouses et stabilisent le carbone dans les sols grâce à leurs turricules (cacas), ils sont exclus comme des hirondelles privées de mouches à se mettre sous la dent !
Ralentir le cycle du carbone
Pour lutter contre le réchauffement climatique, l’ADEME a bien précisé : « Il s’agit de séquestrer autant de carbone que nous en émettons de manière à stabiliser son niveau de concentration dans l’atmosphère et limiter ainsi l’augmentation de la température globale de la planète. » On séquestre dans le sol, pas dans l’air ! Dans l’air, une partie du carbone y stationne de 100 à 1 000 ans avant de revenir sur Terre !
Nota bene. Lors du processus de la méthanisation pour produire de l’énergie, la moitié du gaz carbonique (épuration et fuites) repart directement dans l’air. Comme si nous devions faire chauffer 30 min notre voiture pour 30 min de voyage, une heure pour une heure de voyage, deux heures… vous avez compris la mécanisme.
L’ADEME : « Pour atteindre la neutralité carbone, deux leviers sont nécessaires : réduire les émissions de gaz à effet de serre et séquestrer le CO2 dans des puits biologiques ou technologiques. » La méthanisation agricole fait exactement l’inverse : elle augmente les émissions de gaz à effet de serre et elle court-circuite le sol comme puits biologique.
En résumé
Depuis le 19e siècle, nous déterrons en masse le carbone séquestré dans les sols pour le pulser sans discontinuer dans l’atmosphère. Charbon, pétrole et gaz s’ajoutent ainsi quotidiennement au carbone déjà présent dans l’air. Cet « embouteillage » atteint désormais un niveau inégalé depuis 3 millions d’années ! C’est comme un évier bouché : tant qu’il n’est pas débouché, le bouchon grossit ; comme un bouchon sur l’autoroute : tant qu’il n’est pas résorbé, il grossit ; comme 2 fumeurs dans une pièce fermée : tant qu’ils clopent, c’est enfumé.
Ce transfert de masse vers le ciel n’aurait jamais dû avoir lieu — et il est irréversible à notre échelle. Désormais tous les équilibres naturels sont rompus. Raison pour laquelle on ne peut plus penser le cycle du carbone comme au 18e siècle. Sauf que le projet de valorisation de la biomasse repose sur cette pensée dépassée. Les solutions politiques proposées pour remédier au dérèglement climatique visent donc présentement à amplifier le dérèglement du cycle du carbone, et de l’eau dans une moindre mesure, qui en est pourtant à l’origine.
LIVRE
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L’Éloge du ver de terre n°1 est épuisé et ne sera pas réédité.
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