Le 20 avril 2024, était fondée la Ligue de protection des vers de terre. Son objet : contribuer à la préservation et à la protection juridique des vers de terre ainsi qu’à leur réhabilitation dans le modèle agricole. Créée parce que notre sécurité alimentaire en dépend : notre nourriture provient de leur habitat.
Cet article a été initialement publié le 12 juillet dans le Club de Mediapart.
Voilà la situation : notre nourriture provient de leur habitat, la disparition de leur habitat entraîne leur disparition, une disparition qui met durablement en péril les sols qui nous nourrissent ! Un cercle vicieux. Il existe par ailleurs une réelle volonté politique de ne pas les préserver en les maintenant hors la loi. Concrètement, on peut détruire leur habitat ou les exterminer d’un champ en toute légalité.
De TF1 à France Info, France Inter, France Bleu, France 3 et RFI, la création de la Ligue a été fortement médiatisée. Les vers de terre ont même eu droit à leur toute première émission en direct, en national et à une heure de grande écoute : « Les supers pouvoirs des vers de terre » (La Terre au carré). Plus : La Croix, Marianne, Reporterre, Basta, entre autres.
LES ENGRAIS CHIMIQUES COMME SEULE ALTERNATIVE
Le seul remède à leur disparition, et pour continuer à nourrir les plantes et les cultures qui nous nourrissent, ou nourrissent les animaux que nous mangeons, ce sont les engrais et leur orchestre chimique. Des engrais importés de l’étranger, car les pays de l’Union européenne n’ont ni l’énergie ni les ressources pour les fabriquer. Des engrais dont nous connaissons toutes les conséquences dramatiques sur le climat et la santé des sols. D’ailleurs, l’artificialisation des sols, les sols nus, le labour profond et, indirectement, les engrais chimiques sont la première cause de mortalité des vers de terre.
L’ÉTAT REFUSE DE LES PRÉSERVER
J’ai interpellé pour la première fois l’État sur l’inexistence juridique des vers de terre en 2016. Sans gloire ni gloriole, il me semble avoir été le premier à mettre les pieds dans le plat. Au Président Hollande, j’ai écrit cette année-là : « Je concède que la cause paraît bien dérisoire face aux multiples conflits qui ravagent notre planète, mais sans sols nourriciers, ces conflits seront-ils plus apaisés dans un monde bouleversé par le changement climatique ? Je ne le crois pas. » Et de clore : « Avant la fin de votre mandat, pouvez-vous faire que l’État reconnaisse au ver de terre le droit à exister ? » Il n’a rien fait.
L’année suivante, j’ai écrit à tous les candidats à la présidence et aux ministres concernés ; j’ai envoyé de nombreuses lettres pour réclamer une réponse politique face à leur effondrement. Mais ce n’est que le 12 août 2019 que le ministère de l’Agriculture m’a opposé son refus : « Les vers de terre ayant pour habitat le volume du sol, en particulier les sols cultivés, leur protection en tant qu’espèce pourrait compromettre la pratique de multiples activités sur les sols. » Ne pas compromettre l’agro-industrie, un concept bien éloigné de l’agro-écologie.
ILS ONT ÉTÉ PROTÉGÉS PENDANT 10 ANS
À peine une virgule dans l’histoire de l’humanité, c’était il y a 2 050 ans, du temps de Cléopâtre, la dernière grande reine d’Égypte. Elle avait décrété de les protéger pour préserver la fertilité des terres de la vallée du Nil. Les agriculteurs avaient ordre de ne pas les déranger, une protection supprimée quand l’Égypte est devenue une province romaine à la mort de la pharaonne.
Aujourd’hui, plus personne ne se préoccupe de fertilité, la chimie la remplace, et l’image des vers de terre est seulement utilisée à des fins de marketing par les vendeurs de produits et de machines. Toutefois, cette protection éphémère montre que les agronomes égyptiens avaient déjà découvert l’extraordinaire capacité des vers de terre à déplacer de grandes quantités de sols et à jouer un rôle majeur dans leur fonction nourricière.
DEUX ASSOCIATIONS DÉFENDENT LES VERS DE TERRE
L’une est anglaise, l’autre française, ce sont la Earthworm Society of Britain et l’association du Jardin vivant.fr. Fondée en référence aux travaux de Darwin, la première a créé en 2016 la Journée mondiale des vers de terre. La même année, la seconde s’est engagée dans leur reconnaissance juridique. En 2017, elle a bénéficié pendant 3 ans du soutien du ministère de l’Écologie pour réhabiliter les vers de terre dans le modèle agricole. Depuis 2020, elle promeut avec succès leur Journée mondiale en France. En 2023, elle a publié le tome 2 de l’Éloge du ver de terre, la suite du premier édité en 2018 (Flammarion). En 2024, elle passe le flambeau à la Ligue de protection des vers de terre.
LA DÉFIANCE DE L’ÉTAT
L’État préfère faire confiance à la bourse plutôt qu’aux bouses de vers de terre, préférant la technologie, l’industrie et ses produits, machines et autres moteurs pour produire notre alimentation ! Et soutenir que ces animaux sont au cœur de l’alimentation du futur et de la préservation des sols lui paraît trop simple, simpliste, écolo. D’ailleurs, le représentant de commerce de la FNSEA a déclaré le 26 avril 2024 : « c’est par l’innovation qu’on s’en sortira.» (source) Ce jour-là, Marc Fesneau, ministre de l’Agriculture, a placé le génie humain au-dessus de tout, humiliant sans état d’âme le génie de la nature et des vers de terre… quand plus de la moitié des sols agricoles sont dégradés à des degrés divers à cause de ce génie humain !
UNE QUESTION DE DROIT
Pour espérer bénéficier de droits, il faut d’abord exister dans le champ juridique. Les vers de terre n’y existent pas. D’ailleurs, tous les gouvernements successifs partagent cette ligne de front depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale : faire front contre les vers de terre pour qu’ils n’y existent pas.
Une ligne de conduite également partagée par le monde agricole et son syndicat majoritaire, car la préservation des vers de terre impliquerait de revoir le modèle agricole dominant : itinéraires techniques, outils et les protocoles d’homologation des pesticides. Les freins sont là. En amont, les multinationales des engrais, des pesticides, des semences et du matériel agricole sont le cerveau de ce système de freinage.
Le système freine des quatre fers au nom des hauts rendements et de la compétitivité, alors que, outre notre nourriture, une partie de nos vêtements, sous-vêtements, chaussures, chaussettes, chauffage, électricité, gaz, essence et matériaux de construction provient de l’habitat des vers de terre, tout comme le papier, le carton, le vin, le tabac et les huiles !
Le but n’est pas de les élever à notre rang, juste de les préserver en mettant à disposition des agriculteurs des informations scientifiques, afin qu’ils puissent choisir le produit, l’outil ou la technique la moins nocive pour eux. Car ces informations n’existent pas ! À l’exemple de la toxicité des pesticides qui est évaluée par les fabricants sur les pollinisateurs et les milieux aquatiques, mais pas sur les vers de terre ; un vide juridique signalé dès 2013 par l’INRAE. (source)
LA DISPARITION DES VERS DE TERRE EST UN CHOIX POLITIQUE
Les associations pour la protection animale sont légion, mais aucune ne se préoccupait d’eux jusqu’à présent. Tout d’abord par mépris pour cette chose préjugée moche et gluante… ensuite par méconnaissance, et enfin parce qu’un ver de terre n’aura jamais l’aura d’une abeille, d’un loup, d’un ours ou d’un chaton. Et pour le business, mieux vaut surfer sur un animal déjà confortablement installé dans l’imaginaire collectif.
De plus, les multinationales veillent au grain et influencent toutes les décisions politiques en faveur de leurs actionnaires, détenant un pouvoir sans précédent que nul reine et empereur n’ont eu jusqu’alors. Et elles nient l’existence des écosystèmes et la dépendance réciproque des êtres vivants. À ce sujet, rappelons les propos du célèbre astrophysicien Hubert Reeves : « La disparition des vers de terre est un phénomène aussi inquiétant que la fonte des glaces. » Il ajoute : « Le ver de terre est un bon exemple du fait qu’une toute petite chose à peine visible peut avoir une importance majeure. »
QUELLE SOLUTION (s) ?
Même si le pire se dessine, il n’est jamais certain. Même dans le rocher le plus dur et compact, il y a toujours une minuscule fissure à peine visible, une faille pour s’engouffrer, une porte d’entrée. Toutes les décisions prises au niveau du ministère de l’Agriculture sont scientifiquement et économiquement expertisées en amont, mais jamais elles ne le sont au regard de l’habitat des vers de terre. Pourquoi s’en priver ? Au moins, les élus auraient en main toutes les cartes pour prendre les meilleures décisions.
Pour conclure
L’idée d’une Ligue pour protéger les vers de terre a germé d’un mythe iroquois raconté par le philosophe Baptiste Morizot dans Philosophie magazine en 2013 :
« Un mythe iroquois raconte qu’un jour, la tribu prit la décision de chasser tous les élans, en négligeant l’avis des autres vivants : les loups furent affamés et commencèrent à disparaître. Saison après saison, la santé de la terre périclita, comme celle du gibier, des rivières et des cœurs. Depuis ce jour, à chaque palabre, avant de parlementer, un Iroquois se lève et demande : Qui, dans cette assemblée, parle au nom du loup ? »
La Ligue parle au nom du ver de terre et son habitat, et elle va agir et se proposer à cette fin.
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L’Éloge du ver de terre N°1 est épuisé et ne sera pas réédité ; le N°2 sera bientôt épuisé : en libraire ou dans notre boutique.