J’ai grandi en Saintonge, à Saint-Agnant-les-marais, près de Marennes Oléron, dans une ferme agro-sylvo-pastorale où l’on nourrissait les vers de terre pour nous nourrir. Dans cet environnement, on grandissait forcément les mains dans la terre, la plupart des travaux se faisant justement à la main. Dès l’âge de 6 ans dans les champs, comme la plupart des enfants d’agriculteurs à l’époque.
En dépit d’être labourés, nos champs foisonnaient de vers de terre. À l’époque, j’étais aveugle, je voyais juste que les poules et les mouettes en raffolaient. Je les utilisais pour la pêche à la vermée, une technique de pêche sans hameçon pour attraper les anguilles. À l’époque, elles foisonnaient, aujourd’hui, elles sont en voie d’extinction…
On nourrissait à notre insu
Je suis né d’une longue lignée de paysans saintongeais où, de mère en fille et de père en fils, on nourrissait à notre insu les vers de terre et les microbes du sol. Et nous avons arrêté de les nourrir à notre insu… maintenus dans l’ignorance par des enseignants agricoles qui eux-mêmes avaient oublié l’importance des vers de terre depuis l’avènement des engrais chimiques. Des enseignants et un enseignement agricole qui n’ont jamais assumé leur part de responsabilité dans la dégradation de l’habitat des vers de terre, bien qu’elle soit lourde. Bref, sous la pression de la coopérative agricole et du milieu, les engrais ont débarqué dans notre ferme, suivi des pesticides, peu de temps après ma naissance.
J’ai mis longtemps à apprendre à écrire
D’une formation initiale en protection des cultures, j’ai été successivement vacher, berger, animateur environnement, photographe, chef-opérateur, réalisateur de documentaires. Par curiosité, je n’ai jamais cessé d’étudier et j’ai toujours autant cultivé ma nourriture que les mots ou les images. J’ai appris à écrire en écrivant, j’ai mis longtemps à apprendre. Auteur d’une douzaine de livres et d’un petit millier d’articles, depuis une dizaine d’années, j’observe et j’écris sur les vers de terre : je suis lombricologue et président de La Ligue de protection des vers de terre.
Lombricologue ou géodrilologue ?
Qui sait que le mot « géodrilologue », inventé en 1972 par Marcel B. Bouché pour définir cette discipline (source), n’est pas plus fondé que celui de lombricologue ? M. B. Bouché l’a défini comme il se définissait : « Scientifique spécialisé dans l’étude des vers de terre. » Convenons que le mot n’a pas contribué à populariser un animal souvent perçu comme gluant et moche et qui suscite le plus souvent répulsion et dégoût.
Naturellement, les mots : musicologue, psychologue, sexologue ou politologue, parlent au plus grand nombre sans besoin d’explication. Et notre langue est assez riche pour préciser qu’un pédologue est un spécialiste des sols en général, tandis qu’un agrologue est un spécialiste des sols nourriciers (source) L’agrologie, une science nommée ainsi en 1840, de même que la science lombricienne date de 1837, lorsque Charles Darwin présente son concept de terre animale devant la Société Géologique Royale à Londres.
Ajoutons pour être précis que les prémices de cette science remontent en Occident à 1770 et au naturaliste anglais, Robert White : « Vers de terre, bien que semblant petits et insignifiants dans la chaîne de la nature, pourtant, si vous disparaissez, vous verriez un épouvantable chaos […] les vers semblent être les grands promoteurs de la végétation, qui pourraient survivre sans eux mais si mal… » (source)
Si l’usage veut qu’un géodrilologue soit un scientifique spécialisé dans l’étude des vers de terre en général, un lombricologue définit un spécialiste des vers de terre dans leur rapport à l’agriculture ; là où leur avenir est sérieusement menacé et menace sérieusement celui des sols nourriciers.
Une ferme agro-sylvo-pastorale
Autrefois, on parlait de ferme en polyculture-élevage, aujourd’hui, on dit agro-sylvo-pastorale. Ça fait plus chic… mais c’est la même chose : ce sont des fermes agroécologiques qui tendent à s’intégrer à l’environnement et exploiter au mieux les services écosystémiques offerts par la nature, comme les haies, les arbres et les prairies naturelles. « L’agro-sylvo-pastoralisme désigne le fonctionnement systémique traditionnel des agrosystèmes. » (source)
« L’agro-sylvo-pastoralisme est une activité de production qui associe pastoralisme (élevage extensif pratiqué sur des pâturages) et agriculture à un environnement forestier/arboricole. Cette activité combine donc étroitement ces trois modes d’occupation de sol, voire les articule sur un même espace. » Source : Dictionnaire d’agroécologie. C’est le concept agricole ancestral avant l’usage des engrais chimiques.
On nourrissait les vers de terre à notre insu !
Avant les engrais chimiques, en plus de pratiquer les rotations, les jachères, les engrais verts et les intercultures pour nourrir leurs sols et soutenir des rendements en adéquation avec leur terroir – tous les sols ne se valent pas -, les Anciens y recyclaient toutes les matières d’origines organiques, y compris les déjections humaines. Et ils les nourrissaient d’autant plus à leur insu que, jusqu’au 19e siècle, les vers de terre étaient considérés comme des parasites des cultures…
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