Contrairement au ver de terre, la limace a des yeux. Et contrairement à la poule, elle a des dents… même si elle pond des œufs ! En revanche, la poule se délecte tout autant de limaces que de vers de terre…
Et les grosses loches rouges, qui ne crachent pas sur une cagouille ou un ver de terre (source), se remplissent la panse de jeunes pousses tendres et sucrées. Salades, haricots, carottes, tournesols, pommes de terre… la liste est trop longue. Un fléau quand le temps leur est favorable, comme cette année où elles ravagent les cultures.
Certains agriculteurs ont déjà ressemé deux fois leur tournesol en dépit d’épandages réguliers d’anti-limaces, notamment en non-labour, car le travail du sol, même léger, permet de réduire naturellement les populations.
2024, l’année de la limace
Pour cela, il faut de la douceur et de l’humidité à revendre. Et si ces conditions sont réunies, une seule limace peut en théorie engendrer plus de 10 000 descendantes dans l’année. Une limace pond 2 fois par an entre 100 et 500 œufs, mais celles nées au printemps peuvent aussi pondre entre 100 et 500 œufs à l’automne. Et vu qu’elles mangent jusqu’à 50 % de leur poids par jour, on imagine aisément les conséquences.
Nourrir ses limaces !
Commençons par cette règle universelle qui régit les écosystèmes : c’est la quantité de nourriture disponible dans un milieu donné qui régule le nombre des individus qui la consomme. Et le jardin comme le champ cultivé sont des milieux qui n’ont rien de naturel, puisque artificiellement riches en nourriture.
L’idée de bichonner ses limaces et de les nourrir date de 2014. Les nourrir dans un coin de son jardin pour les éloigner des cultures est une idée popularisée par le permaculteur Hervé Coves (source). Surfant sur l’idée d’une nature généreuse et bienveillante, son concept a enflammé les réseaux sociaux. Toutefois, en cas d’invasion, il suggère tout de même de les ramasser pour les donner aux poules… distillant au passage ce « précieux » conseil hérité de sa mémé : « Écraser les grosses loches avec un bâton avant de les donner aux poules, car elles les prennent mieux en bec ! » Arf, la bienveillance trouve vite ses limites.
Même si cette technique peut paraître barbare, elle l’est finalement beaucoup moins que d’épandre des granulés chimiques ou bio qui vont les empoissonner à petit feu dans d’atroces souffrances gastriques, tout en empoisonnant leurs prédateurs et l’environnement ! On peut aussi les ramasser pour aller les jeter dans la forêt, là où elles ne gêneront personne.
Et de fil en aiguille, magie des réseaux sociaux, on finit par lire « qu’il vaut mieux avoir des limaces dans son jardin plutôt que des vers de terre ! » Et il existerait même des limaces chasseuses de limaces, comme la limace tigre léopard, léopard, car sa robe est tigrée, mais c’est tout, l’habit ne faisant pas le moine
Les solutions
D’abord, le meilleur moyen de lutte, c’est de commencer par les connaître ; ensuite, il n’y a pas de recette miracle. La limace a des prédateurs naturels, comme le hérisson, la musaraigne, le crapaud et quelques oiseaux ou coléoptères, des animaux qui sont également de grands consommateurs de vers de terre et autres auxiliaires.
Quant aux poules, elles grattent le sol et aiment autant la salade que les vers de terre et tout ce qui bouge… Il y a aussi les coureurs indiens, mais leur impact est surinterprété. Ils fouillent le sol à la recherche des vers de terre et mangent beaucoup de verdure… les jeunes pousses tendres comme les limaces ! De plus, il faut grillager le jardin, leur construire un solide abri et un bassin, s’en occuper matin et soir et les nourrir le reste de l’année…
Il y a les soi-disant recettes de grand-mère : coquilles d’œufs, cendres et autres barrières et répulsifs ; les baveuses en ricanent… Le meilleur moyen reste de les ramasser quand elles sortent pour manger, à savoir le soir, le matin ou après une pluie.
Un système équilibré
On entend souvent dire que dans un système « équilibré » les limaces s’attaquent peu aux cultures. Or, un champ cultivé est un milieu colonisé sur la forêt sauvage, un milieu domestiqué, artificiel et riche en sucre, contrairement au milieu forestier. Donc incomparable à un milieu sauvage et équilibré. Une forêt, de surcroît primaire, est pauvre en nourriture en dehors d’un peu de viande et de quelques fruits à la belle saison.
L’animal étant dans l’incapacité de produire les sucres pour nourrir ses cellules, il recherche instinctivement les milieux sucrés. Regardez une vache : entre une prairie à l’herbe verte et grasse et une aux herbes jaunes et éparses, elle n’hésite pas. En ce moment, il circule sur les réseaux que la vache serait un animal forestier !
La forêt, un imaginaire
Beaucoup ancrent leur raisonnement agronomique dans celui de la forêt, comme un modèle à imiter. Alors, comment fonctionne-t-elle ?
La matière organique tombe sur le sol à l’automne, puis elle est digérée par la faune et les microbes du sol avant d’être entraînée par les eaux pluviales dans les profondeurs de l’épiderme terrestre où ses éléments nutritifs seront aspirés par les racines des arbres. C’est beau et ça fonctionne comme un mouvement perpétuel tant qu’il n’y a aucune exportation.
Mais si on y prélève les arbres pour la construction, le chauffage ou la cuisson, le système ne fonctionne plus et le sol s’appauvrit. Pire en prélevant les feuilles à l’automne pour couvrir son jardin, car elles agissent comme un manteau, conservant la chaleur venue du centre de la Terre et protégeant ainsi le sol du froid pendant l’hiver.
Pour l’anecdote, la chute des feuilles à l’automne n’est pas une mort cellulaire programmée, mais bien une décision prise par l’arbre de leur couper l’alimentation en produisant des particules de liège qui vont, à la manière de petits bouchons, obstruer les vaisseaux à la base des pédoncules. Et cette décision est prise en fonction de certains signaux environnementaux, une décision qu’il peut également prendre en période de sécheresse pour limiter ses pertes en eau.
Quant aux limaces, très présentes en milieu forestier, vouloir les éradiquer n’est pas plus malin que de les nourrir. Dans un milieu artificialisé, il faut les réguler comme toutes les bestioles végétariennes. Le seul que vous devez nourrir, c’est 🪱, l’ingénieur des sols fertiles 😉
Cet article a été écrit en collaboration avec La Ligue de protection des vers de terre
Adhérer à la Ligue ➡️
Pourquoi a-telle été créée ➡️
Un don pour la soutenir ➡️
La folle semaine des vers de terre ➡️
L’Éloge du ver de terre N°1 est épuisé et ne sera pas réédité ; le N°2 sera bientôt épuisé : en libraire ou dans notre boutique.