Le succès du premier Éloge du ver de terre (Flammarion, 2018) reposait sur un dialogue entre un ver de terre et son auteur. Le manuscrit avait donné quelques sueurs froides à l’éditeur, mais aucune forme de dinguerie n’avait été pour autant relevée par les lecteurs, seulement une astuce pédagogique visant à rendre la lecture plus vagabonde. Dans le tome 2, j’en profite pour lui demander s’il donne du goût aux légumes.
Le ver de terre : « Comment le savoir, je n’en mange pas ou très rarement ! »
— Dans un reportage de France3 pays de Loire, une permacultrice a pourtant affirmé l’été dernier que vous en donniez : « Et pourquoi mes plantes ont-elles du goût ? C’est grâce aux vers de terre. »
🪱« Elle dit aussi nous donner à manger des cartons ! »
— Et alors, quel est le problème ?
🪱 « Les encres, les colles… »
— Ça vous colle les boyaux… 😁 Désolé, je sais bien qu’entre une petite feuille de trèfle sucrée et un morceau de carton, l’addition est dure à avaler. J’ai bien photographié des vaches mangeant de la corde dans le désert du Thar pour survivre.
🪱« Bordel, c’est pas une raison ! Qu’elle s’intéresse à nous avant de s’intéresser à elle. »
— T’es dur.
🪱 « Dire que ces gens disent nous aimer. »
— Ils ont l’amour sec.
🪱 « Sec ? »
— Oui, ils s’aiment tellement, qu’ils sont à sec pour les autres.
🪱 « Je ne connaissais pas cette expression. »
— Revenons à nos légumes. Pour leur donner du goût, il vous faudrait avoir le pouvoir de modifier le comportement génétique des plantes.
🪱 « Et pourquoi le ferions-nous ? Quel serait notre intérêt dans cette affaire ? »
— Effectivement, d’autant plus que le goût est aussi culturel.
🪱 « Et quel goût leur donnerions-nous : acide, amer, sucré, salé, piquant ? »
— Évidemment ! T’as vraiment les pieds sur terre.
🪱 « les pieds sous terre. »
— Je ne connaissais pas cette expression. Mais voilà, dans Sauver le ver de terre, le professeur Lavelle fait référence à l’un de ses anciens thésards qui, en 2005, a mis en évidence ce qui suit : « Manuel Blouin a démontré que les vers de terre, par l´intermédiaire des bactéries qu’ils stimulent durant le transit intestinal de la terre, pouvaient changer l’expression des gènes du riz et l’aider ainsi à résister aux attaques de nématodes. Nature a refusé la publication. Raconter que les vers fabriquent des OGM à la demande, et en fonction des nécessités, n’est sans doute pas économiquement correct. »
🪱« En dehors du riz, y a-t-il eu d’autres études montrant notre implication dans un changement du comportement génétique des plantes ? »
— À ma connaissance, non.
🪱« Une, c’est un peu juste. »
— Ce qui est injuste, c’est que la Recherche aurait dû s’y engouffrer.
🪱 « Pourquoi le riz ? Des collègues vivent-ils dans les rizières inondées ? »
— T’es incroyable, 2 chercheurs vous mettent en avant, et toi, tu te la joues soupçonneux. Tu roules pour qui : les industriels ou ton peuple ?
🪱 « Seule la connaissance me guide… D’ailleurs, nous n’y sommes pour rien, seules les bactéries ont éventuellement ce pouvoir de modifier le comportement génétique. »
—Ouf, ça me rassure, nous sommes sur la même longueur d’onde.
Pendant très longtemps, nous avons sous-évalué leur importance, alors que le monde bactérien pèse 13 % de la masse totale du vivant sur la planète. Nous, vous et l’ensemble des animaux, c’est 0,5 %. Même les champignons pèsent 4 fois plus lourd. Mettons à part notre génome, auquel nous ne pouvons pas nous soustraire, puisqu’il contient toutes les instructions pour être ce que nous sommes, mettons à part tous ces microbes (bactéries, levures, archées, virus…) qui vivent dans nos intestins respectifs et ailleurs, comme sur notre peau, dans notre bouche ou sur certaines muqueuses, car nous connaissons mal leur impact sur nous, mais vivons-nous pour autant sous la coupe exclusive de notre système hormonal ? Le système endocrinien pour les tatillons de la glande. Qui décide de nos comportements : nos hormones, nos bactéries intestinales, notre cerveau ou les trois ? On sait par exemple que certaines bactéries sont impliquées dans la dépression ou certains troubles du comportement. L’intestin, notre deuxième cerveau…
🪱« Désolé, j’ai décroché. »
— Dit autrement : qui est le capitaine du navire qui mène ma barque ou ta barque ?
🪱 « Tu veux dire : sommes-nous réellement le cerveau de nos actes ? »
— Absolument. Nous pensons l’être, nous pensons que vous ne l’êtes pas…
🪱« Vous pensez l’être 😁 vous qui dilapidez toutes les ressources nutritives de notre planète commune, la Terre ressemblera bientôt à une lune.
— Pourquoi ?
🪱 « Arrête de faire le couillon, NOUS VIVONS tous SOUS LE MÊME TOIT ! »
— Pas la peine de crier, j’ai compris.
🪱 « J’en doute. Quand vous dilapidez les ressources, vous ne dilapidez pas seulement les vôtres, les nôtres, mais aussi celles des oiseaux, des poissons, des insectes… »
— Hum…
La suite dans le tome 2, les livres sont notre seule source de financement, l’acheter, c’est nous soutenir, en librairie ou dans la boutique.