Alerte. Signal prévenant d’un danger imminent : alerte enlèvement, alerte à la bombe, lanceur d’alerte. Le 6 juin dernier, France 2 et Élise Lucet ont décidé de lancer une alerte sur le bio : « Alerte sur le bio ! » Curieuse coïncidence à une heure où le Gouvernement multiplie les annonces pour assouplir la législation sur les pesticides chimiques.
Des semeurs de doute
Le résumé de France 2 ne laisse aucun doute quant à leurs intentions : « Bio ne signifie pas sans pesticides : des centaines de produits d’origine naturelle sont autorisés en agriculture biologique pour les traitements. » Vu sous cet angle, ça fait peur : des centaines de pesticides. D’accord, le but d’une alerte est d’informer rapidement d’une situation dangereuse, mais ça alimente aussi les rumeurs les plus folles : le bio, c’est pas mieux et c’est même pire.
Des centaines de produits
Des centaines de produits où l’extrait d’ail, l’essence d’orange ou les huiles de colza, de paraffine, de menthe et de clous de girofle sont considérés comme des pesticides ! Même la graisse de mouton est vue comme un produit de traitement ! Quant au soufre, utilisé comme fongicide, il est répertorié sous 132 noms commerciaux. Cette idée de centaines de produits est trompeuse, France 2 en a fait son accroche commerciale. Liste complète des produits homologués AB à consulter ici. En agriculture chimique (AC), plus de 1600 produits sont utilisés ! (source)
0,06 % suspectés d’être cancérigènes
L’ONG Générations Futures note que 224 pesticides chimiques sont classés dangereux contre 17 en agriculture biologique (source). Elle note également que 28% des pesticides chimiques vendus en France, contre 0.06% des pesticides biologiques, sont suspectés d’avoir des effets cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction (CMR). Cela n’excuse rien, mais permet de remettre en perspective l’utilisation des pesticides à une heure où on essaie de nous convaincre qu’ils protégeraient l’environnement et les sols, à l’exemple de l’agroforesterie et des agricultures de conservation et régénératrices qui utilisent pesticides et engrais chimiques.
Élise Lucet tire la sonnette d’alarme
Et elle le fait à juste titre pour 3 insecticides : le BT, le Spinosad et le pyrèthre. À titre de comparaison, les agricultures non-bio en disposent de 330 ! (source)
Le BT, Bacillus thuringiensis, est une bactérie chenillicide utilisée en agriculture depuis près d’un siècle. Le problème, c’est sa rémanence dans l’environnement et sur les fruits et légumes. Le savon noir, dont la recette est connue depuis des milliers d’années, a des propriétés similaires par contact. Peut-être une piste.
Le pyrèthre, une plante que j’ai dans mon jardin et dont la fleur contient de redoutables molécules insecticides, les pyréthrines, raison pour laquelle elle n’est jamais butinée… c’est sa culture en Afrique qui entre autres choses pose problème. Justement, sa culture a été externalisée là-bas pour bénéficier d’une main-d’œuvre bon marché et d’un environnement législatif « souple », mais elle pourrait fort bien être cultivée dans le sud de la France comme le démontrent des essais datant du 19e siècle (source). Peut-être une piste.
Reste le spinosad qui, à l’instar de ses « confrères » chimiques, a bénéficié d’un protocole d’homologation obsolète, comme je l’ai soutenu dans une tribune publiée dans Marianne. Lire également : Pesticides : nous n’en sortirons pas
Des dégâts considérables et durables
Moi-même, j’ai eu un moment de doute : des centaines de produits… Et pourtant, j’étudie depuis plus de 40 ans l’impact social et environnemental des pesticides. Mais sur l’opinion publique, les effets ont été dévastateurs comme en témoigne ce commentaire : « J’ai toujours été vigilante sur la provenance du bio, car il y a bio et bio. Je croyais la législation française plus sérieuse, mais après avoir vu l’émission Cash Investigation, je n’ai plus confiance au bio français ou européen, car il ne garantit pas une alimentation saine. » Des dégâts irrémédiables, et des firmes des pesticides et des engrais chimiques qui en sortent grandies.
Des réactions, il y en a eu beaucoup
Sur ma simple page Facebook du Jardin, plus de 500 commentaires ont suivi la diffusion de l’émission et de : Qui veut la peau du bio ? Les conspirationnistes s’en sont donnés à cœur joie : putain d’écolos, des escrocs. Parce que dans la tête de ces gens, le céréalier qui cultive plusieurs centaines d’hectares en bio cumule deux tares : être un pecnot et un écolo. Les consommateurs, eux, se sont sentis trahis et trompés sur la marchandise. Quant à ceux qui doutaient avant, ils ne doutent plus : le bio, c’est la même merde. Bribes de commentaires :
¤ « Mes parents ont vu l’émission, le résultat est sans appel : pour eux, le bio est une arnaque. Et dans leur jugement, ils ne font pas de distinction entre le petit producteur passionné et engagé et une grosse boîte qui s’offre le logo AB… »
¤ « Une émission géniale pour perdre les consommateurs. »
¤ « Sujet à charge, sans nuances, qui augmente la défiance envers l’agriculture bio. »
¤ « Dommage que les journalistes n’aient pas eu plus de recul, même si le bio n’est pas parfait. »
¤ « Une émission pour entretenir la confusion… Mettre par exemple le logo HVE au même niveau que le logo AB n’est pas très sérieux, voire malhonnête. »
¤ « Une atmosphère de soupçon à l’égard de la filière « bio » est bien insufflée, alors que le problème est visiblement ailleurs : cahiers des charges pas toujours cohérents, défaut de contrôle, ¤opacité des organes de décision, réglementation truffée de dérogations … Du coup, j’ai essayé par moi-même de trouver les informations sur les sites officiels, mais c’est un maquis inextricable… »
¤ « Bel éclairage sur les pratiques de certains. Et chacun se renvoie la balle comme en agriculture conventionnelle ! C’est pas moi c’est l’autre. On ne savait pas … »
¤ « Honnêtement je pense que les gens réalisent que le bio c’est trop cher pour ce que c’est. »
¤ « Bio, non bio, raisonné, on s’y perd, mais vu la conjoncture, c’est le prix qui décide. Tous les fruits et les légumes bio sont hors de prix. »
¤ « C’était fait pour casser la filière bio et éloigner le consommateur… »
Certains commentaires vont jusqu’à associer les pesticides chimiques à une alimentation saine et abondante, mais aussi à une augmentation de l’espérance de vie ! Comme si les fabuleux progrès de la médecine étaient étrangers à cette espérance : « en dépit de leurs supposés effets toxiques, cela n’a pas empêché une augmentation exponentielle de la durée de vie… » Par ailleurs, ce discours sur l’abondance grâce aux pesticides se retrouve dans la sphère politique, et régulièrement dans la bouche des ministres de l’Agriculture.
En conclusion
Pourquoi utilise-t-on des pesticides en bio ? On ne gère pas 10 choux dans son jardin comme 10 000 dans un champ, on ne gère pas 10 pieds de patates comme 10 hectares. Lire la suite.
L’erreur commise, c’est toujours de confronter une forme d’agriculture à une autre, comme s’il y avait d’un côté les bons agriculteurs et de l’autre les mauvais. Extrait d’Aux sources de l’agriculture (ISBN 978-2-9539489-0-5) : « Des millénaires après la naissance de l’agriculture, la situation se présente ainsi. Il y a deux types d’agricultures : celle qui utilise des engrais et des pesticides chimiques et celle qui utilise des engrais et des pesticides biologiques. Et dans chacune se retrouvent les mêmes courants divergents : industriel, productiviste et paysan. Une situation qui fait qu’entre, une agriculture biologique intensive et une agriculture non biologique paysanne, il est malaisé de savoir laquelle est la plus naturelle. »
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N.B. La permaculture se positionne au dessus de l’agriculture, prétend être meilleure, même si elle n’a jamais nourri son homme. Or son cofondateur, David Holmgren, explique en 2014 pour Le Labo des savoirs : « Dans le futur, nous devrons être plus sobres dans l’utilisation des substances chimiques, pas seulement à cause des dégâts qu’elles peuvent provoquer, mais aussi à cause du coût énergétique de la production de ces substances. De la même manière, l’utilisation des énergies fossiles en agriculture doit être réduite, non pas qu’elles devraient être rejetées parce qu’elles sont intrinsèquement mauvaises, mais parce qu’à l’avenir elles seront plus chères et moins disponibles. » Le discours n’est en rien radical contre les pesticides ou les énergies fossiles, il faut être sobre, car ça coûte cher… une motivation bien loin des pionniers de l’agriculture biologique ou de ceux qui la vivent au quotidien.
Bonjour,
Je pense que cette émission était désastreuse à cause de tous les gens qui ne l’auront pas regardé jusqu’à la fin et de ceux qui ne cherchent pas à aiguiser leur esprit critique.
Le bio n’est pas parfait et se doit de communiquer sur ce qu’il est réellement. Il doit communiquer sur les évolutions de son cahier des charges. Il est vrai que nombreux sont ceux qui pensent : bio = 0 pesticide, et ce n’est pas normal car c’est faux. La représentante de la filière a très bien fait son job en expliquant qu’ils sont dans la recherche et mettent tout en œuvre pour limiter au max l’usage des pesticides. A contrario, le représentant du label HVE dit se contenter des directives de l’état (en qui je n’ai personnellement pas confiance car les enjeux financiers passent toujours avant tout le reste).
Bonjour Hélène,
Vous dites que « La représentante de la filière a très bien fait son job en expliquant qu’ils sont dans la recherche et mettent tout en œuvre pour limiter au max l’usage des pesticides. » Tous les ministres de l’Agriculture, comme tous les syndicats agricoles ou toutes les firmes disent ça depuis plus de 50 ans à l’image du représentant du label HVE.
Tant que tous les courants qui composent le monde agricole ne se réuniront pas dans le respect de leurs différences, à mon avis, il n’y a rien à attendre de bon…
Merci Christophe.
Encore une journaliste payée ou menacée !!!
Bon dimanche en attendant la pluie
Colette
Bonjour Colette,
Ni menacée ni soudoyée, juste la course à l’audimat ! Belle journée
Merci pour cet article qui remet en perspective , en effet.
Une enquête biaisée sur toute la ligne. A commencer par le titre de l’émission, on ne peut plus racoleur, des données trompeuses, et pour finir un débat où on ne débat pas, entre gens courtois ( c’est bien ), bien briefer. Pour l’audience, le sympathique présentateur d’une émission télé qui a fort peu à voir avec le sujet, un permaculteur, très en vigue pour de bonnes raisons, mais pas franchement représentatif de la filière agricole bio.
Aucune représentation de cette filière sur le terrain.
Pas de débat contradictoire donc. Un plaidoyer à charge qui laisse sur le carreau des centaines d’agriculteurs de petites exploitations, consciencieux et courageux au quotidien.
Ou comment tuer les mouches à coup de bazooka ? …
Bonjour,
Bien entendu. Je lui en ai parlé, elle m’a répondu que ce permaculteur était agriculteur bio. J’ai rétorqué que sur son site, on ne trouve ni carottes ni patates à vendre, mais des stages, entre autres, d’écologie intérieure… Même son de cloche à la FNAB, donc tout va bien.
Pourquoi ne pas proposer une contre enquête à Elise Lucet?
Bonjour Michel,
Pour avoir brièvement échangé avec madame, elle est convaincue d’avoir fait correctement son job. Belle journée
La contre-enquête aurait fait partie de l’émission dans un monde parfait! Pour ma part je ne peux juger de son émission puisque je ne regarde plus ces distractions depuis longtemps. Tous les téléspectateurs qui veulent des informations devraient en faire autant. Le service public participe depuis longtemps au lavage de cerveau. Mais écoute encore plutôt que se tourner vers plusieurs bons professionnels qui sont capables de nous expliquer leurs domaines respectifs. Ensuite de croiser toutes les points de vue. On ne fait le tour d’un sujet en 1h30 devant son écran.