Semer, nourrir, restituer à la terre — la danse éternelle des saisons. Dans son numéro de mai 2025, le magazine Biocontact consacre 3 pages à mon dernier livre [Ne tirons plus la chasse, nos déjections au secours des sols vivants] sous la forme d’une interview. Disponible gratuitement dans tous les magasins bio. Extraits.

— Le maintien de la fertilité est une préoccupation aussi ancienne que l’agriculture, car, à l’instar d’une vache ou d’une abeille, un sol n’a pas pour fonction naturelle de nous nourrir ! Et cette préoccupation est aujourd’hui plus que jamais d’actualité, avec la pression démographique et l’appauvrissement (défertilisation) des sols.

Toutefois, pour ceux qui ne cultivent pas, il n’est pas évident de saisir le lien entre nos déjections et le maintien de la fertilité. Moins encore si j’ajoute que nous consommons des sols tout au long de notre vie… Le problème — notre problème — est que nous avons fini par croire que ces sols étaient sans date de péremption : hors du temps et de l’évolution, éternels, alors qu’en réalité ils sont rares et non renouvelables.


— Pour appuyer mon propos, je rappelle que les cultivateurs de la Grèce antique travaillaient déjà sur des stratégies culturales pour maintenir la fertilité de leurs sols nourriciers, à l’exemple des cultures intercalées où, entre deux cultures destinées à nourrir les hommes, l’on intercalait une culture pour nourrir les microorganismes et la faune des sols agricoles.

Le philosophe Aristote a bien écrit que les vers de terre étaient les intestins de la terre ! 3 siècles plus tard, la dernière grande reine d’Égypte anoblissait les vers de terre, aux côtés des scarabées (bousiers), comme des icônes de la fertilité pour préserver la fertilité des terres de la vallée du Nil. Ces gens étaient finalement avant-gardistes, nous avons un train de retard…

— Nos urines et matières fécales sont le produit digéré de ce que nous avons mangé. Et qu’avons-nous mangé ? Des plantes et des animaux qui ont eux-mêmes mangé des plantes. Donc, les plantes sont à la source de notre alimentation. Et que consomment-elles ? Ni de la terre ni des cailloux, mais les éléments nutritifs : azote, phosphore, potassium, calcium, magnésium, soufre, hydrogène, oxygène et, dans une moindre mesure, fer, zinc, sodium, manganèse, silicium…

Certes, le sol est la réserve nutritive des plantes, mais c’est également notre réserve alimentaire.

— Hormis pour les scatophiles, le dégoût est instinctif. Nul besoin d’une analyse intellectuelle : si quelques gouttes d’urine touchent nos doigts, nous nous lavons les mains. Mais si en nous essuyant le derrière, nos doigts dérapent… nous les lavons 2 fois, voire plus, pour être sûrs !

Au 19ᵉ siècle, alors qu’il y avait encore un véritable commerce de nos déjections pour fertiliser les sols, notamment dans le nord de la France, on neutralisait les odeurs avec du sulfate de fer pour ne pas dégoûter les ouvriers agricoles.

Avec le recul, étrange est cette appétence jusqu’au dégoût de ce qui est digéré. De l’appétit au rejet. Pourtant, c’est la même chose : les aliments entrent d’un côté et ressortent transformés en urine, en excréments, en sueur, en crachats, en pets, en rots. C’est le système nutritionnel universel : les déjections des uns sont la nourriture des autres. Impossible d’échapper à ce processus naturel qui permet de fertiliser les plantes et les cultures qui nous nourrissent, sauf à le court-circuiter avec des engrais chimiques…

— Leur rémanence dans l’environnent, comme celle des pesticides et des produits vétérinaires, n’est pas prise en compte lors des procédures de mise sur le marché. Donc… personne n’en sait rien ! Par ailleurs, sachant que c’est la concentration qui crée la pollution, en tirant la chasse, ces produits se retrouvent tous concentrés dans les stations d’épuration, ce qui est pire.

La journaliste : — « Comment, concrètement, réutiliser nos déjections lorsque l’on a un mode de vie urbain ? En pratique, comment cela pourrait-il se mettre en place à l’échelle de la France ? Car finalement, seules les personnes qui ont des toilettes sèches et un jardin peuvent utiliser les déchets humains pour fertiliser la terre ? »

— Le problème que je pose est sociétal, ce n’est pas un débat sur les toilettes sèches ! Je remets en cause l’usage de l’égout et du tout-à-l’égout. En son temps, Victor Hugo disait que l’égout faisait le mal en voulant faire le bien. Aujourd’hui, il n’a jamais fait autant de mal.

Par ailleurs, recycler nos déjections dans les champs est perçu comme un retour en arrière, mes lecteurs comprendront que ce serait une manière d’aller de l’avant. J’ai écrit ce livre pour alerter sur la disparition silencieuse de l’humus et la tragédie du phosphore. Le recyclage de nos déjections est une partie de la solution pour y remédier. Nous n’avons aucune solution pour le remplacer, le phosphore est non renouvelable et en voie d’épuisement. Et après, une fois épuisé ?

Sans phosphates, les rendements agricoles s’effondreront. Nos déjections en sont riches. Le phosphore est aujourd’hui considéré comme une ressource stratégique…

La suite est à lire dans le n°367 • mai 2025 de Biocontact.
Disponible gratuitement dans tous les magasins bio.

Ne tirons plus la chasse ! 176 pages. ISBN : 9782379224317
30/01/2025. 18.00 €. Éditions ULMER Fiche éditeur, Libraires en ligne

« Ne tirons plus la chasse » est un titre qui m’a été imposé par l’éditeur. Culpabilisant, il ne reflète pas le contenu du livre. Après des mois passés à batailler pour préserver l’intégrité de mon travail, je jette l’éponge malgré 2 nouveaux manuscrits presque finalisés, car le prix à payer est trop élevé entre le bonheur d’écrire et de réécrire — j’ai réécrit ce livre 4 fois avant de trouver le ton juste —, 2 ans de travail, et la réalité d’éditeurs qui ne fabriquent plus que des produits, l’auteur n’étant bien souvent qu’un argument commercial de plus.

Pour s’en convaincre, il suffit d’aller faire un tour chez Cultura (par exemple) et de regarder ces dizaines de livres sur le jardinage et la nature, tous plus colorés les uns que les autres, et qui ressassent les mêmes idées depuis 50 ans. Au nom de l’écologie, on finit par raser des forêts pour alimenter un système — la chaîne du livre — qui ne vit que pour l’argent.

Sur le jardin, tout a été dit au 19ᵉ siècle ! Aucune innovation depuis en dehors de l’amélioration des variétés. En revanche, tout reste à faire dans la connaissance des sols nourriciers — le réservoir nutritif des plantes et des animaux terrestres — et des écosystèmes, en particulier sur les vers de terre, qu’il nous faut apprendre à comprendre et à aimer, car ce sont eux qui rendent la terre habitable. C’est le projet sur lequel je travaille actuellement, un semestriel, je vous en parle la semaine prochaine