« Terres de Chavaignac » — derrière ce nom aux accents de terroir se cache un projet bien moins bucolique. À Peyrilhac, paisible commune située au nord-ouest de Limoges, le groupe CARNIVOR veut implanter une mégaferme bovine — à ma connaissance la plus grande de France.

Vantée par la communauté urbaine de Limoges Métropole pour son « urbanisation raisonnée » et son riche patrimoine culturel, c’est dans ce cadre préservé que la filiale T’Rhéa du groupe projetait initialement de créer sa ferme-usine à meuh, avec 100 bêtes à cornes envoyées chaque semaine à l’abattoir.

Face au gigantisme du projet, à la faiblesse du dossier et à l’ampleur de la contestation 99,5 % des contributions citoyennes contre ce projet lors de la première enquête publique —, le commissaire enquêteur avait rendu un avis défavorable le 12 juin 2024 (source). En réponse, le groupe CARNIVOR a réduit ses ambitions en ramenant le nombre d’animaux de 3 100 à 2 120. Une nouvelle demande d’autorisation environnementale a été déposée le 18 décembre 2024 et, à l’issue de l’enquête publique complémentaire, le nouveau commissaire enquêteur a émis un avis favorable le 11 mars dernier. Le dossier est maintenant dans les mains du préfet de la Haute-Vienne qui doit trancher au plus tard le 24 mai 2025.

Si je précise « nouveau », c’est parce que le précédent commissaire enquêteur, celui qui avait instruit la première enquête publique en 2024, a été sévèrement mis en cause par le représentant de CARNIVOR quelques heures après l’avis favorable. En effet, le « nouveau » aurait, selon lui, réalisé un travail de fond très sérieux ! Sous-entendu, contrairement à son prédécesseur, il aurait même pris la peine d’étudier le dossier… « Et avec une très grande indépendance… ce qui nous a un peu changé par rapport à la fois précédente… », a-t-il précisé en direct sur le plateau de France 3 Limousin le 11 mars dernier.

Pourquoi formuler de telles allégations relevant de la diffamation, alors que le groupe CARNIVOR venait d’obtenir gain de cause ? Des mensonges d’autant plus répréhensibles qu’ils ont été proférés en public et qu’ils visaient, indirectement, une autorité publique : le Tribunal administratif de Limoges ; le commissaire enquêteur ayant été nommé par son vice-président.

Pourquoi affirmer que 50 % des veaux mâles seront exportés en Italie et en Grèce parce que les Français n’en consomment pas assez : « Jusqu’à preuve du contraire, la Grèce et l’Italie sont des consommateurs de jeunes bovins, les Français ne l’étaient pas jusqu’à présent, ils vont le devenir… », alors que CARNIVOR vend également du veau importé des Pays-Bas dans ses boucheries en libre-service ! (source)

Pourquoi brandir le terme « local » comme un argument phare du projet sur le registre dématérialisé : « La SAS T’RHEA souhaite mettre en place un modèle de filière intégrée allant de la production jusqu’à la distribution, qui privilégierait le marché local et réduirait ainsi l’exportation», alors qu’ils proposent aussi du bœuf importé d’Irlande, d’Allemagne, des Pays-Bas et d’Italie sur leurs étals ? Les agriculteurs apprécieront.

Rappelons que CARNIVOR est coté en bourse, et qu’en dehors de la Confédération paysanne, qui s’oppose farouchement, les autres syndicats agricoles sont restés silencieux. Une approbation silencieuse qui interpelle sur les terres de la Coordination Rurale, majoritaire en Haute-Vienne, alors que la position nationale de ce syndicat a récemment été réaffirmée par Stéphane Charbonneau, responsable de la section viande bovine, à propos des élections aux Chambres d’agriculture : : « Les résultats montrent bien que nous sommes un syndicat qui s’adresse vraiment aux agriculteurs, et non aux entreprises qui gravitent autour. » (source)

Quant au député de la deuxième circonscription de Charente-Maritime, Benoît Biteau, il a pris le taureau par les cornes en s’adressant à Madame la ministre de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, contraignant ainsi l’État à se positionner dans un délai de deux mois : «  Il (le député) souhaite donc connaître les mesures qu’elle prendra pour éviter l’installation de telles usines à bovins et davantage soutenir l’élevage extensif préservant des prairies accueillant une riche biodiversité et permettant de s’attaquer frontalement au dérèglement climatique en séquestrant très efficacement le carbone. » Source

En région, c’est l’association Terre de Liens qui a pris la tête de la rébellion. Et comme le rappelait son porte-parole et administrateur pour le Limousin, Vincent Laroche, dans une lettre adressée au commissaire-enquêteur le 24 février dernier, toutes les infrastructures restent dimensionnées pour revenir au projet initial de 100 bêtes envoyées chaque semaine à l’abattoir : même nombre de bâtiments, même réserve d’eau, même capacité de stockage des aliments, même capacité de stockage du fumier…

En conclusion, même si CARNIVOR, par la voix de son représentant, dénonce « une mécanique d’affolement de la population » orchestrée par les opposants, rien ne prouve que leur but n’est pas de revenir au plus tôt à leur projet initial. Rappelons enfin que les élus des quatre communes environnantes ont voté contre et que le mot de la fin reviendra le mois prochain, à Monsieur le Préfet, on espère juste une fin aussi heureuse que dans le conte du grand méchant loup et des Trois Petits Cochons


Comme l’est aujourd’hui la méthanisation, la plus belle atteinte à l’environnement sous couvert de transition écologique ! Où même la science a mis les doigts dans la confiture. Cf. mon article de la semaine dernière : La méthanisation agricole lave les cerveaux comme Omo lavait plus blanc que blanc en son temps

Rappelez-vous la levée de boucliers contre la ferme des 1000 vaches qui n’en contenait que 500 officiellement, contre celle des 1000 veaux qui n’en contenait que 400… Aujourd’hui, 5 000, 10 000 ne choquent plus grand monde, d’autant que ces usines sont nécessaires au développement d’énergie soi-disant renouvelable comme le biogaz !

Bref, désolé d’être sorti de mon couloir de nage cette semaine, j’y reviendrai la semaine prochaine.

Ne tirons plus la chasse ! 176 pages. ISBN : 9782379224317
30/01/2025. 18.00 €. Éditions ULMER Fiche éditeur, Libraires en ligne

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