Sous couvert d’indépendance énergétique, les méthaniseurs poussent comme des champignons dans nos campagnes pour produire du gaz et de l’électricité.

Mais que faut-il pour les faire pousser ?

D’abord, un climat politique favorable et de l’argent public, c’est la base, son humus. Ensuite, des élevages industriels qui rendent les animaux malheureux, puis beaucoup d’énergies fossiles et de publicités — comme celle des années 1970 qui disait que la lessive Omo lavait plus blanc que blanc !

Je n’irai pas jusqu’à dire qu’on a lavé le cerveau des gens… mais ils ont dû construire un narratif — une histoire qui semble cohérente au regard de l’Histoire. Prenons un exemple similaire pour mieux saisir le contexte.

Et c’est vrai : il provient du nectar des fleurs. Si je ne vous raconte que cette partie de l’histoire, elle est ultra positive. Elle fait rêver. Mais si j’ajoute qu’en dehors des périodes de floraison, les abeilles sont nourries avec du sucre issu des cultures industrielles de betterave… c’est nettement moins fun.

D’autant que la période de floraison est courte, et qu’en dehors de la France, ces betteraves sont cultivées avec les fameux tueurs d’abeilles, les néonicotinoïdes, pour les protéger des pucerons… Quel retournement de l’histoire ! Alors, directrice de l’information à France 2, j’avais proposé le sujet à Élise Lucet à l’occasion de la sortie de l’Éloge de l’abeille chez Flammarion. Voir ou revoir L’œil du 20 heures sur le sirop de betterave.

Cosignée par une trentaine de scientifiques, ci-après le texte d’une tribune que nous avions coécrit avec Daniel Chateigner, professeur de physique à l’université de Caen Normandie, un ténor en la matière. Elle a été publiée le 16/12/2021 sous le titre : Une erreur de calcul met en danger l’avenir de la filière méthanisation.

Admettons, puisque le narratif veut que le CO₂ capté par la photosynthèse — le CO₂ biogénique — soit considéré comme neutre sur le plan du changement climatique. Neutre, parce que relâché dans l’atmosphère, il n’augmenterait pas le nombre total de molécules en circulation, contrairement au CO₂ d’origine fossile. C’est vrai, ils ont raison à l’échelle des temps géologiques. Mais à l’échelle humaine, la seule qui nous concerne vraiment, c’est une autre histoire.

Le but de la lutte contre le réchauffement climatique est de réduire la concentration de CO₂ dans l’atmosphère, car c’est cette concentration qui provoque l’effet de serre.

Qu’il soit issu de la photosynthèse ou de la fossilisation, 44 % du CO₂ émis dans l’atmosphère y persiste au moins un siècle. Certes, on n’augmente pas le nombre total de molécules en circulation, mais on renforce les causes du réchauffement climatique. À cela s’ajoute l’énergie grise.

L’énergie grise, c’est la somme des énergies nécessaires à la fabrication d’une substance, d’un matériau ou d’un bâtiment, et à son recyclage. En l’espèce, c’est l’ensemble de l’énergie consommée pour produire le biogaz à l’exception de son utilisation.

Pour la méthanisation agricole, il faut donc intégrer les énergies fossiles et le matériel pour la mise en place des semis, les pesticides, les engrais, l’entretien, la récolte, le stockage, le transport des cultures vers les méthaniseurs, la production de la nourriture et la conduite des élevages pour fournir les fumiers et les lisiers, la production et le transport des protéines importées d’Amérique du Sud, le chauffage des fermenteurs, le brassage, l’hygiénisation des digestats et la purification des gaz bruts. Sans oublier les installations : hangars, cuves…

UNE ERREUR DE CALCUL MET EN DANGER L’AVENIR DE LA FILIÈRE MÉTHANISATION

L’industrie du biométhane se base sur l’existence d’un variant du CO2 qui n’existe pas dans nature ! Un CO2 mutant qui fausse tous les calculs. Différent du CO2 issu des énergies fossiles, ses créateurs l’appellent le CO2 biogénique. Son principal avantage serait de ne pas polluer, parce qu’il prend sa source dans la photosynthèse !

Une molécule pourrait-elle muter comme un virus ?

C’est la question qui vient tout de suite à l’esprit : y a-t-il un bon et un mauvais CO2, comme il y aurait un bon et un mauvais cholestérol ? Cette théorie de mutation moléculaire, où le carbone serait transmuté par la sève des plantes en CO2 biogénique, s’apparenterait à celle sur la mémoire de l’eau ! Autrement dit, le carbone et l’oxygène de ce gaz ont-ils gardé une « mémoire » de leur contact avec la sève des plantes ? Non, la communauté scientifique est unanime sur ce point : NON, sauf à l’INRAE !

A l’instar de leur étude publiée le 24/11/2021 ; page 33 : « Le CO2 biogénique bénéficiant d’une neutralité d’impact au regard du changement climatique… » Les auteurs valident que ce CO2 est différent. Et ils réaffirment sa différence à la page 106 : « puisqu’il sera réémis sous forme de CO2 biogénique… »

L’étude de 2009, republiée en 2020 par l’INRAE, confirme cette différence : « Son bilan (du CO2 biogénique) vis-à-vis de l’effet de serre est nul : tout gaz émis est tout de suite réabsorbé ou provient de la même quantité de gaz qui vient d’être séquestrée. » Et de fil en aiguille, l’erreur est devenue vérité dans la sphère publique : « Les émissions de CO2 biogénique, neutre en carbone, peuvent être déductibles de l’inventaire des gaz à effet de serre. » Source

Ils ont inventé un nouveau cycle du carbone,
un cycle imaginaire, un cycle court :
court au sens local, court au sens vertueux.

Tout ça serait finalement risible si le développement de la méthanisation en France ne s’appuyait pas exclusivement sur cette théorie alchimique qui biaise tous les calculs sur notre neutralité carbone ; des calculs faussés en dépit de ce rappel clair et net de l’ADEME : « Quelle que soit son origine, biogénique ou fossile, une molécule de CO2 agit de la même façon sur l’effet de serre. »

Quelle que soit son origine, si l’on émet 10 molécules de CO₂, seulement 3 seront réintégrées dans le cycle de la photosynthèse à l’échelle humaine. Ainsi, plus on méthanise, plus on émet de CO₂, plus on augmente sa concentration dans l’atmosphère, et plus on perturbe le climat.

Quoi qu’on dise, quoi qu’on fasse, on ne peut échapper à cette réalité : pour réduire nos émissions de CO2, il faut émettre moins. En attendant, cette fausse information scientifique entrave toutes les décisions politiques pour les diminuer et atteindre la neutralité carbone d’ici 2050.


Ne tirons plus la chasse ! 176 pages. ISBN : 9782379224317
30/01/2025. 18.00 €. Éditions ULMER Fiche éditeur, Libraires en ligne

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