L’urine des vers de terre au secours de la biodiversité, une étude prouve l’impact positif de leurs déjections

Avant-propos. Quand on parle de crise de la biodiversité ou d’extinction de masse, on oublie que la disparition des dinosaures s’est étalée sur 5 millions d’années. Celle qui se déroule en ce moment sous nos yeux est à l’échelle humaine : je suis né dans un monde où la biodiversité foisonnait sous terre, sous l’eau et dans les airs.

Même si l’évolution s’est subitement accélérée, se rappeler que nous partageons plus d’un tiers de notre ADN avec la jonquille nous remet à notre place ! (source) Oui, la fleur jaune… J’ignore notre proportion d’ADN partagée avec les vers de terre, probablement autour de 70 % en référence à cette source. Je sais juste que nous sommes sortis de l’eau en même temps, et qu’ensemble nous avons assisté à la fin des dinosaures.

Par contre, si l’évolution nous a dotés de zizis et de zézettes pour faire pipi, les vers de terre, eux, en sont dépourvus !

Ils « transpirent » leurs urines ! J’espère que vous saisissez ce à quoi nous avons échappé.

— « T’as trop chaud, tu transpires ? »

— « Non, je fais pipi ! »

Était-ce un moyen d’optimiser la gestion de leurs eaux internes, l’urine étant composée à 95 % d’eau ? Le bon sens semble l’indiquer, car, à l’instar de l’intérieur de notre bouche, leur peau doit rester constamment humide.

Leur peau est une muqueuse qui, comme toutes les muqueuses respiratoires, doit être en permanence hydratée pour permettre les échanges gazeux, car les vers de terre respirent par leur peau. Une peau qui leur permet aussi de survivre à la noyade en extrayant l’oxygène de l’eau pendant un certain temps. Les petits malins m’objecteront que les vers aquatiques font pipi par leur peau, alors qu’elle baigne dans l’eau. Pas faux !

Outre que les vers de terre vivent dans un milieu desséchant, la terre assèche leur peau, pour comprendre pourquoi tous les Annélides, qu’ils soient terrestres, aquatiques ou marins, font pipi par leur peau au lieu de faire pipi comme les poissons, il faudrait remonter aux sources de l’évolution ! D’ailleurs, cela nous permettrait de comprendre pourquoi les poules font pipi comme les poissons… Pourquoi elles ont perdu leurs dents, des dents remplacées par un organe, le gésier, qu’elles partagent avec les vers de terre… ? Il faudrait remonter à leur ancêtre commun.

Quand j’emploie le mot « évolution » – un mot qui, lui aussi, a évolué au fil du temps – je fais référence à la théorie de l’évolution de Charles Darwin (L’Origine des espèces, 1859). Une théorie selon laquelle toutes les espèces partagent des ancêtres communs, et où la sélection naturelle et l’adaptation façonnent la biodiversité. Mais quand Darwin la formule, le mot est défini par les dictionnaire comme le mouvement des troupes sur un champ de bataille : leur évolution. Rien à voir avec l’idée d’être plus évolués.

Sa théorie était révolutionnaire, car elle s’opposait radicalement à la théorie fixiste et chrétienne qui faisait loi et rage à l’époque comme aujourd’hui aux États-Unis. Aussi appelée créationnisme, ce dogme dit que rien n’évolue puisque tout a été fixé par Dieu. Donc, tout ce qui vit existe tel qu’il était au commencement du monde. En complément : 5 idées reçues sur la théorie de l’évolution. Revenons à notre ver de terre dont le créationniste nie l’existence et voit son habitat comme un milieu sombre et inerte… en opposition au Ciel, siège du royaume de la divinité qu’il vénère.

Le mucus est cette substance qui protège les muqueuses, raison pour laquelle les vers de terre sont souvent qualifiés de gluants pour mieux les disqualifier. C’est moche. Le mucus qui recouvre l’intérieur de notre bouche est-il gluant ?

Une étude avait suggéré en 2019 que notre peau était notre « troisième » rein, puisque certains composants comme l’urée (l’azote) se retrouvent dans notre sueur comme dans nos urines (source). Le mucus des vers de terre est riche de tous les éléments présents dans nos urines !!! Et outre de jouer un rôle clé dans leur respiration, leur locomotion et leurs défenses immunitaires, il va tapisser les parois de leurs galeries et stimuler ainsi l’activité des micro-organismes qui vont s’en nourrir.

Bien entendu, la quantité produite par jour est infinitésimale, de l’ordre de quelques microlitres (µL), voire moins. Mais rapportée à l’année et sur le million de vers de terre présents en moyenne à l’ha, l’apport n’est pas négligeable. Estimées, selon les conditions régionales, locales et climatiques, de 100 à 500 tonnes/an/ha en climat tempéré, il faut aussi ajouter à leur mucus, leurs fèces (cacas).

En imprégnant l’ensemble de leur habitat de leurs déjections, les vers de terre stimulent la vie souterraine. Une méta-analyse vient de le confirmer (source). Manuel Blouin en est l’un des coauteurs, il est professeur en écologie à Agrosup Dijon et membre du laboratoire de recherche Agroécologie à l’INRAE de Dijon :

« Je n’avais pas d’a priori sur l’impact des vers de terre sur les communautés microbiennes, car j’avais trouvé des articles montrant un effet positif, mais aussi certains qui ne montraient aucun effet, voire un effet négatif. La valeur ajoutée des méta-analyses est justement de réaliser une synthèse quantitative des différentes études pour déterminer si une tendance générale se dégage.

On peut dire que les vers de terre augmentent l’abondance des micro-organismes (+17 % pour les bactéries et +31 % pour les champignons), ainsi que leur diversité, en créant de l’hétérogénéité. »

Ne tirons plus la chasse ! 176 pages. ISBN : 9782379224317
30/01/2025. 18.00 €. Éditions ULMER Fiche éditeur, Libraires en ligne