Cultiver sans apport de fumier : est-ce fertile ? Durable ? Oui, mais…

Les raisons pour lesquelles on souhaite cultiver sans apport de fumier peuvent être purement pratiques, on n’en a pas… ou bien spirituelles ou idéologiques, comme dans le cas du véganisme, du végétarisme ou du jaïnisme.

Est-il fertile de cultiver sans apport d’engrais d’origine animale ? Je vais répondre à cette question, car on me la pose souvent… le plus souvent, des véganes qui souhaitent accéder à l’autonomie en cultivant leur propre nourriture. Oui, c’est possible, mais il faut prendre certaines précautions pour ne pas se retrouver, au bout de dix ans, avec un sol improductif.

Je pensais au départ traiter la question en une seule fois, mais cultiver sans fumier est plus complexe que cultiver avec. Il faut entrer dans les détails pour en comprendre tous les enjeux, d’autant plus que, à l’instar des couches chaudes, la culture a toujours été pensée avec du fumier. Même la célèbre ferme permacole du Bec-Hellouin, en Normandie, s’est faite connaître pour ses hauts rendements grâce à d’importants apports de fumier de cheval.

Je vais y consacrer plusieurs articles, mais le sujet est si riche qu’il mériterait un livre ! À plus forte raison que le fumier et la matière organique vont devenir une denrée rare, le gouvernement ayant décidé de les méthaniser pour en faire du gaz et de l’électricité. Les conséquences à long terme sont imprévisibles et potentiellement dramatiques pour nos sols ; nous avons lancé une alerte en 2021 avec le Professeur d’université Daniel Chateigner : La méthanisation, une énergie qui sent le gaz ! nous avons pissé dans un violon…

Dans un reportage de Reporterre (source), des maraîchers véganes disent avoir remplacé le fumier par de grandes quantités de broyat végétal issu d’une déchetterie. Excellent pour le carbone, l’énergie des sols… mais pauvre en azote ! Et l’azote, c’est le moteur en maraîchage.

On ne gère pas un sol en maraîchage ou potager comme on gère un sol en grandes cultures. D’abord, en raison du nombre d’espèces et de variétés cultivées au même endroit, ensuite, à cause de la vitesse des cycles de culture et des rotations. Prenons un exemple extrême :

Le blé et la pomme de terre

La culture du blé s’étale sur presque une année, à cheval sur deux, quand celle de la patate dure 4 mois ! Et même si le blé est gourmand en azote pour fabriquer ses protéines — l’azote étant la brique des protéines animales et végétales, au point que le prix du blé est indexé sur sa teneur protéinique (en protéines, azotée) —, on atteint en moyenne 3,5 tonnes de blé en agriculture biologique, le double en conventionnel sur un an… mais 50 tonnes de patates sur 4 mois !!! Raison pour laquelle on dit qu’elles épuisent les sols. Dans l’idéal, il faudrait travailler sur une rotation de 6 à 8 ans pour restaurer la fertilité et casser le cycle des parasites. Compliqué au jardin…

Il y a d’autres piliers, comme le phosphore ou le potassium, mais l’azote, l’eau et le carbone sont particuliers : ils partagent leur existence entre le ciel et la terre ! Il y a aussi l’oxygène, mais il est réparti uniformément sur toute la planète, du moins dans l’atmosphère.

Dans un sol, c’est différent, la répartition est aléatoire, bien qu’il soit tout aussi vital pour les vers de terre, les micro-organismes et les racines des plantes. Si ma mémoire est bonne, en dessous d’une concentration de 5 % d’oxygène, les racines cessent de se développer.

Je l’explique dans mon dernier livre, Ne tirons plus la chasse, qui, sous couvert d’une devanture militante, est un manuel d’agronomie et d’agriculture naturelle à l’usage de tous. Qui aurait acheté un manuel d’agronomie ? Il en existe pléthore, sans compter toutes les vidéos YouTube. Sauf que le mien est différent — facile, prétentieux… —, sauf que ceux qui l’ont lu reconnaissent sa singularité, à l’exemple de Xavier Mathias ou de Silence, ça pousse (la liste à la fin de cet article). Prenons un exemple.

On lit ou entend qu’il faut diluer son urine avant de l’épandre sur les plantes ou le sol. Mais qui vous a expliqué que c’était en réalité le meilleur moyen de perdre l’azote… Car naturellement notre urine contient une enzyme qui, au contact de l’air, la renvoie directement dans l’atmosphère.

En effet, l’azote contenu dans nos urines est encapsulé dans une molécule organique appelée urée. Et pour faire simple, seules des bactéries spécialisées vivant dans le sol peuvent la libérer et la rendre disponible pour les cultures ! Ce pour quoi il est conseillé de l’enterrer légèrement : cela permet non seulement de la valoriser, mais aussi de l’hygiéniser.

Une légumineuse désigne une plante ou un arbre de la famille des Fabaceae. Et si l’idée d’utiliser des plantes pour capturer l’azote atmosphérique est séduisante, il faut concrètement plusieurs années avant qu’il soit disponible pour les cultures. 25 % l’est l’année suivante, le reste sera restitué les 6 années suivantes, nous y reviendrons.

J’ai publié en 2017 le texte suivant dans Des nouvelles agricoles et d’ailleurs, juste avant de sortir l’Éloge du ver de terre chez Flammarion, les 2 ouvrages sont aujourd’hui épuisés.

En agronomie, il y a une règle simple qui dit que les bestioles qui dégradent la matière organique consomment 25 fois plus de carbone que d’azote. Autrement dit, il leur faut une unité d’azote pour digérer 25 unités de carbone.

Appliquée à un pilier de bar, ça correspond à une dose de Ricard pour 25 d’eau, ou 1 g d’herbe mélangé à 25 de tabac pour un fumeur ! Avec de telles doses, rien n’interdit au fumeur de joints de se boire un petit apéro pour s’hydrater… mais pas au point de prendre le volant. Parce que d’un point de vue automobilistique, un sol vivant consomme 4 L aux 100 km d’azote !

Appelé C/N, c’est l’indice de carbone d’un matériau organique ; un indicateur clé de la capacité d’un matériau organique à se décomposer. Plus il est élevé, plus la matière est riche en carbone : 500 pour le carton. Et plus il est faible, plus elle est riche en azote : 1 pour l’urine. Et qu’est-ce qu’un matériau organique ? C’est une matière d’origine cellulaire, la cellule étant la brique du vivant.


Ne tirons plus la chasse ! 176 pages. ISBN : 9782379224317
30/01/2025. 18.00 €. Éditions ULMER Fiche éditeur, Libraires en ligne



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