Notre corps est une usine à engrais : il en produit une demi-tonne par an. Les aliments rentrent par un bout pour ressortir par l’autre en chaos : en pipi, caca, sueur, crachats, pets et rots. C’est le système nutritionnel universel : les déjections des uns sont la nourriture des autres.
Le bon sens paysan voudrait que l’on restitue au sol tout ce qui en provient. C’est-à-dire tout ce que nous avons mangé, digéré, excrété, pour boucler la boucle, car c’est un cycle.
Mais il y a ce dégoût instinctif pour nos déjections, et dès qu’il s’agit de les valoriser en engrais, beaucoup lèvent les bras au ciel en pensant : « Gros dégueulasse, c’est vecteur de maladies, c’est plein de pathogènes. » Combien de fois me suis-je fait insulter sur les réseaux à ce sujet ? Curieusement, personne ne trouve à redire quand il s’agit de restituer au sol les déjections des autres animaux.
Comme si l’humain n’était pas un mammifère comme les autres
Ce que confirme la nouvelle loi entrée en vigueur le 1ᵉʳ janvier 2024 (art. L541-21-1 du Code de l’environnement), qui exclut nos déjections des biodéchets, considérant qu’elles ne sont pas biodégradables et doivent donc être traitées comme des déchets « dangereux » ! Ainsi, pour éliminer 0,3 litre de pipi composé à 95 % d’eau, nous consommons entre 3 et 5 litres d’eau potable. Vous commencez à palper l’absurdité et le sens de mon travail pour la dénoncer.
Au cours de mon enquête pour écrire mon nouveau livre, Ne tirons plus la chasse, j’ai aussi découvert qu’une part non négligeable du monde du bio soutenait l’idée que nos déjections affaibliraient les plantes et les cultures ! Et d’une certaine manière, la loi leur donne raison, puisque l’usage de nos pipis et cacas comme engrais en agriculture biologique est strictement interdit. À l’inverse, il est autorisé en agriculture conventionnelle, mais la procédure administrative est si contraignante qu’elle décourage les meilleures volontés. Finalement, il est plus simple d’épandre dans l’environnement du glyphosate que des engrais naturels.
Pour les jardins familiaux, la loi n’interdit pas l’usage de nos déjections.
Sur le plan sanitaire, quelles précautions ?
D’abord, ce qui s’applique à nos déjections s’applique à toutes les déjections animales. Tous les fumiers sont des bouillons de culture par excellence, et une fiente de poule n’a rien d’aseptisé. Cela dit, attention : la merde fraiche est indigeste pour les plantes.
Il faut attendre que la vie souterraine (microbes, insectes, crustacés, vers de terre, etc.) la transforme en éléments assimilables. Ce processus prend au minimum plusieurs mois. À noter que les chances de survie des pathogènes anaérobies, propulsés à l’air libre par notre trou du cul, sont quasi nulles. Mais, à l’instar des autres déjections animales, on ne peut jamais exclure qu’un arrive à survivre quelque temps, avant de périr, car le sol n’est pas son milieu de vie. La température y est trop froide, et les vers de terre et les enchytréides se nourrissent également de ces microbes. Enchytréides ? En savoir +
Pour l’urine seule, l’OMS recommande un stockage d’au moins un mois, tout en précisant que les risques sanitaires liés à son utilisation agricole sont faibles. Si l’urine est épandue avant le semis ou enfouie entre les rangs pendant la culture, cette précaution n’est pas nécessaire. Ensuite, tout dépend du type de culture et des délais de récolte. On ne pulvérise pas de l’urine, même diluée, sur des salades ou des radis de 18 jours ! Un peu de bon sens.
Prenons le cas des lisiers
Les lisiers sont un mélange liquide d’urine et d’excréments provenant des élevages intensifs de porcs, de vaches et de volailles. Ce sont de véritables bouillons de culture pour les pathogènes. Curieusement, alors que cet aspect est exagéré dans le cas de nos déjections, il est peu ou pas pris en compte pour les lisiers… le législateur cherchant surtout à en valoriser l’azote.
Par exemple, il est seulement conseillé d’attendre au moins 3 semaines avant de remettre à pâturer après un épandage de lisier sur une prairie ! Mais rien d’obligatoire, juste une recommandation ! Pareil pour les digestats, ces déchets issus de la méthanisation de biodéchets, fumiers, lisiers ou matières organiques, et qui sont chauffés intentionnellement pour devenir des bouillons de culture et produire du gaz. En 2016, l’ADEME affirmait qu’ils ne respectaient pas les normes sanitaires : « Les digestats étudiés (à l’exception des fractions solides compostées) ne respectent pas les critères des normes actuelles sur les amendements et les engrais. »
Encore en ligne en 2021, cette page a depuis été supprimée… pour ne pas gêner le développement intensif de la méthanisation agricole. Elle était référencée : dechets-economie-circulaire/1914-dynamique-des-pathogenes-lors-du-stockage-des-produits-residuaires-organiques-probiotic.html
En conclusion
J’ai juste voulu vous montrer la différence de traitement entre des biofertilisants présentant des risques sanitaires analogues, voire très élevés comme les digestats. Car ce n’est pas le niveau de risque qui fait la sévérité de la législation, mais, en l’espèce, les préjugés culturels et idéologiques.
Pire, les agriculteurs n’ont même pas le droit d’épandre eux-mêmes les déjections issues des fosses septiques : ils sont obligés de faire appel à des sociétés spécialisées et agréées… (source) Je reviens sur tous ces freins irrationnels dans mon ouvrage qui sort en librairie le 30 janvier prochain.
Épilogue
Les engrais dits chimiques ou de synthèse ont remplacé nos déjections et la fertilisation organique dans les champs. Or, ils n’ont rien de réellement synthétique, puisqu’ils résultent d’un assemblage de 3 éléments naturels, dont l’un est non renouvelable et en voie d’épuisement. Et après, une fois épuisé ? Personne ne sait, l’échelle n’est plus humaine !
Nous n’avons actuellement aucune solution de remplacement, et c’est un effondrement des rendements agricoles qui nous attend à moyen terme. De ce point de vue, mon nouveau livre se veut lanceur d’alerte.
Articles en lien avec le livre :
Voici l’exemple du bacille du choléra et de sa rémanence dans l’environnement.
Durée de survie
La durée de survie du vibrion varie en fonction de la température, du pH, du substrat, du type
de souches et d’autres paramètres. Ci-dessous quelques indications sur sa durée de survie :
• entre 1 et 2 semaines dans la nourriture et les boissons à température ambiante ;
• entre 4 et 5 semaines dans la glace (y compris nourriture et boissons) ;
• entre 1 et 3 semaines dans l’eau de puits ;
• entre 1 et 7 jours sur des objets solides (ustensiles, vêtements, pièces de monnaie, etc.)
Source : https://www.actioncontrelafaim.org/wp-content/uploads/2018/01/manuel_pratique_cholera_acf.pdf
Très bon article.
J’utilise des Toilettes Sèches qui prennent la direction de mon jardin après 18 mois de compostage.
J’ai envie de vous demander : pourquoi 18 mois ?
Je suis. Pourquoi 18 mois ?