Un oiseau, un ver de terre ou un mammifère est bien plus que le tiroir dans lequel nous l’avons rangé. Au 16e siècle, stupéfiant, l’abeille, le ver de terre et le rat étaient regroupés dans le même, tout au moins en Occident, celui où l’on rangeait la ver-mine ! À l’exception de quelques classificateurs aveuglés qui rangeaient l’abeille dans le tiroir des oiseaux… avec la colombe blanche !
Imaginez revenir de balade et dire : « Tiens, j’ai croisé un mammifère ! » — « Ah, sois plus précis : avec ou sans ailes ? » — « Je ne t’ai pas dit un oiseau ! » — « Je sais… qu’il y a aussi des mammifères qui volent, comme la chauve-souris ; des oiseaux qui ne volent pas, comme l’autruche ; des oiseaux aquatiques, comme le manchot… » Il y a même des mammifères crétins qui pissent et chient dans leur eau potable, des mammifères marins ou souterrains, comme le dauphin ou la taupe, ce dernier étant lombrico-dépendant… qui dépend de la ressource en lombrics ! Cet article est la suite de celui publié le 20 octobre dernier :
Lumbricus
C’est le Suédois Carl von Linné qui, en 1758, donne pour la première fois un nom aux vers de terre. Qu’ils vivent dans le sol, sur le sol ou dans l’eau, tous s’appelleront jusqu’en 1822 : Lumbricus terrestris Linnaeus ; ou Lumbricus humanus quand il s’agit de vers intestinaux !
Linné n’ignore pas la diversité des espèces de vers de terre, mais comme tout apôtre du créationnisme, il considère le sol comme le milieu de la pourriture et la vermine. Et puisque les vers de terre ne figurent sur la liste des êtres créés par Dieu dans la mythologie biblique, et qu’ils vivent là où pourrissent les dépouilles de nos morts, ce sont forcément des créatures démoniaques à exterminer. C’est le mot d’ordre à l’époque : les vers de terre sont des parasites comme les vers intestinaux !
C’est sous l’impulsion du naturaliste français Marie-Jules-César Lelorgne de Savigny que l’on commence à différencier les différentes espèces de vers de terre. En 1821, il décrit les principales espèces du bassin parisien (Bouché, 1972, p. 542). En 1822, Allolobophora terrestris (source) qui vit dans la partie supérieure de l’humus ; en 1826, Eiseniella tetraedra, une espèce aquatique à la « queue » carrée… etc.
« Queue » carré, « queue » plate !
Lumbricus terrestris, une espèce à part et à part entière parmi les 4 400 espèces de vers de terre répertoriées dans le monde, est la seule à avoir une « queue » plate. J’utilise le mot « queue » entre guillemets, car, contrairement à un reptile, un ver de terre n’a pas de queue !
Cependant, le nom Lumbricus terrestris, qui désigne aujourd’hui officiellement le lombric terrestre, change aussi au fil du temps et des circonstances. En 1842, Lumbricus terrestris devient Lumbricus agricola Hoffmeister ! Werner Hoffmeister, un naturaliste allemand pour qui le lombric terrestre fut le sujet de thèse.
1872 : Lumbricus americanus Edmond Perrier (1844-1921). Ce zoologiste français, qui finira sa carrière comme directeur du Muséum national d’histoire naturelle, est une figure majeure et peu connu de la recherche sur les vers de terre. En 1872, il a pourtant publié le premier livre sur les vers de terre (source). Encore disponible sur Amazon… 10 ans plus tard, il préfacera le dernier livre de Charles Darwin, toujours un ouvrage de référence sur les vers de terre, le premier traité de pédologie, la science des sols. (BNF) Existe en poche (lien)
Lumbricus sp !
En 2024, les vers de terre vendus dans les magasins de pêche sont appelés : vers canadiens ! Nom latin : Lumbricus sp... « sp. », pour spécial pêche ? Je plaisante à moitié, puisqu’il s’agit de Lumbricus terrestris, une espèce importée involontairement par les européens. Là-bas, ils ont trouvé des sols riches en matière organique et protégés du gel l’hiver par le manteau neigeux, un jardin d’Éden pour eux. Environ un milliard de ces vers sont ramassés tous les ans dans le sud de l’Ontario pour être exportés comme appâts de pêche. (source)
Ver de terre
- « Petit animal mou et sans pattes. » (Dico Le Robert)
- « Ver que l’on trouve dans la terre ; excellent fertilisant des terres, détruit par l’industrie phytosanitaire. » (Dico de TV5 monde)
- « Invertébré vivant sous terre, acteur principal de la fertilité des sols, aussi appelé » intestins de la terre » » (Dico L’Internaute)
- Dans la 6e édition du dictionnaire de l’Académie française (1835) : Ver = Animal à sang blanc !
- Un siècle plus tard, dans la 8e édition : « Animal long, rampant et qui n’a ni enveloppe cornée ni membres articulés. Ver de terre. »
- 9e et actuelle édition : « LOMBRIC. Annélide appelé couramment ver de terre. Le lombric contribue à la fertilité du sol en l’aérant par les galeries qu’il y creuse.
La réponse juste est donnée par Émile Littré en 1863 : « Nom donné communément au lombric terrestre et à tout animal qui offre une conformation analogue à celle de ce lombric. » Magnifique, j’adore ce lexicographe.
La suite en janvier 2025
parce qu’il reste encore beaucoup à dire…
Aussi scientifiques soient-elles, les classifications restent qu’une vue de l’esprit sur le vivant destinée à simplifier ce qui est par nature inclassable. Une espèce n’a de sens qu’au sein de son écosystème, pas isolément. Depuis une cinquantaine d’années, en plus de la classification phylogénétique, on utilise des catégories dites fonctionnelles pour classer les vers de terre : les épigés, vivant à la surface du sol, les endogés, vivant dans le sol et qui se déplacent parallèlement à la surface du sol, et les anéciques, qui creusent des galeries verticales. C’est tellement simplifié que notre Lumbricus terrestris est un épi-endo-anécique selon la période de sa vie !
N’oubliez pas, fin janvier sort mon nouveau livre chez Hulmer : Nos déjections au secours des sols ! La solution oubliée pour les régénérer, voici un avant-goût de la couverture !
L’Éloge du ver de terre n°1 est définitivement épuisé,
et il ne reste que quelques exemplaires du n°2.
Disponibles en librairie ou dans notre boutique.
Les ventes financent ce site.