Être autonome, c’est ne dépendre de personne, à l’image des animaux solitaires qui ne comptent que sur eux-mêmes. Nous, créatures profondément sociales, dépendons les uns des autres. Mais aujourd’hui, les autres, ce sont aussi les industriels !
Nous dépendons tous des supermarchés et de l’industrie agroalimentaire pour manger. Même pour nos autres besoins élémentaires, comme le chauffage, le logement, l’habillement, l’eau, le transport…, c’est l’industrie qui décide.
Tendre vers plus d’autonomie, c’est aspirer à davantage de liberté
Quand on aime ses enfants et qu’on veut leur donner un avenir, il est sain de vouloir s’émanciper de ceux qui éviscèrent notre planète sans scrupules. Toutefois, on n’est jamais autonomes, on est juste moins dépendants d’eux !
Selon une étude conjointe de l’ADEME, l’INRAE, du CNRS… datant de 2020, il faudrait pour nourrir un Français moyen : 1 300 m2 de sol agricole pour un végétalien, 4 300 m2 en mangeant 100 g de viande par jour, et 6 000 m2 pour 170 g de viande par jour (source). Bien entendu, il s’agit de calculs purement théoriques, basés sur des données statistiques susceptibles de varier considérablement en fonction des sols, du climat, de la diversité alimentaire et de « l’idéologie » des chercheurs. Ces chiffres sont donc à prendre avec des pincettes et non au pied de la lettre.
Toutefois, ils ne prennent pas en compte l’ensemble de nos besoins journaliers, où, selon notre mode de vie (sobre ou « après moi, le déluge »), la surface pourrait atteindre 46 000 m² par an, voire beaucoup plus pour les je-m’en-foutistes.
Le miracle des micro-fermes urbaines
Même les villes aspirent à l’autonomie, et quoi de mieux pour verdir un programme politique avec trois sous et sans changer la face du monde. En 2016, on pouvait lire : « Pour atteindre de telles performances sur une si petite surface, nul besoin d’OGM ou de pesticides. Il suffit de faire appel aux pouvoirs de la nature ! » Le projet en question promettait de produire 800 kg de légumes et 400 poissons par an… sur 15 m², soit 80 kg d’aliments par m², vin et service non compris !
Si je transformais mon jardin en ferme urbaine, je pourrais produire plus de 100 tonnes de nourriture… alors que je peine à en sortir une seule. Bref, comme à chaque fois, une fois que les promoteurs ont levé quelques millions d’euros, le projet est tombé à l’eau.
Nota bene. Même si elle n’est pas nourricière, l’agriculture urbaine peut avoir avec une vraie fonction sociale.
L’eau pour être autonome
La production de légumes réclame énormément d’eau… contrairement à ce que prétendent certains toutoulogues sur les réseaux sociaux, qui vendent l’idée de potagers abondants cultivés sans eau. Un toutoulogue est un expert en tout, toujours très sûr de lui, et incollable sur tous les sujets. Les médias et les plateaux TV sont son terreau, il s’en nourrit, il les nourrit, or un cultivateur de légumes s’appelle un maraîcher dans la vraie vie : « un maraîcher est un jardinier cultivant un marais à l’intérieur ou à proximité de l’enceinte d’une ville, » dit le dictionnaire.
On disait aussi maréchais et ou marager : « C’est le jardinier qui, dans les grandes villes, s’attache à la culture des plantes potagères. C’est dans les lieux les plus bas et les plus humides des environs des villes que ces sortes de jardiniers ont établi leurs jardins
. » Le Littré.
Nota bene. Les légumes ne représentent qu’une petite partie de notre alimentation, en comparaison avec les céréales, les huiles, les sucres, les produits laitiers et, éventuellement, la viande et le poisson.
Elles mangent par les pieds et transpirent pour boire !
La plante boit pour se nourrir, réguler sa température, faire circuler ses liquides et capturer le dioxyde de carbone pour le transformer en glucose. Elle est assignée à boire et, si elle manque d’eau, elle stresse parfois jusqu’à rendre l’âme. Elle peut vivre avec très peu, comme un animal peut survivre avec la peau sur les os, mais perd alors sa fonction nourricière. Beaucoup rêvent d’une agriculture sans eau ajoutée, alors que l’irrigation est sûrement née avec l’agriculture. Certains prédicateurs agricoles soutiennent qu’on pourrait leur « apprendre » à en boire moins… mais moins elles en boivent, plus leur respiration est lente, et leur développement affecté…/…
Certains végétaux absorbent de colossales quantités d’eau. Par exemple, un chêne de 100 ans dans un sol humide en consomme plus d’une tonne par jour et par temps chaud ! Cette tonne d’eau, il doit la pomper dans le sol avant d’en relarguer plus des trois quarts dans l’atmosphère sous forme de vapeur d’eau. En effet, n’ayant ni moteur ni cœur, c’est en transpirant le jour que les plantes font circuler leur sève des racines à leurs feuilles. La transpiration fait l’effet d’une pompe aspirante. La nuit ou pendant l’hiver, à l’image de la vigne, du kiwi ou du noyer, qui pleurent quand on les taille au mois de mars, c’est la pression racinaire qui agit comme une pompe immergée pour refouler la sève vers le haut de la plante. Extrait de mon prochain livre à paraître fin janvier aux éditions Hulmer : NE TIRONS PAS LA CHASSE – Nos déjections au secours des sols.
50 personnes pas hectare
Comme un miracle, il y a l’agriculture chimique qui nourrit en moyenne 50 personnes par hectare ! Mais au prix d’atteintes à l’environnement considérables et irréversibles à l’échelle humaine. 50 personnes ! En effet, vu que les besoins énergétiques d’un adulte sont de 500 g de céréales par jour, eu égard aux rendements moyens en maïs (10 T/ha) et en blé de (8 T/ha), une simple règle de 3 met en évidence que 180 m² de maïs suffiraient à nourrir une personne pendant une année, contre 230 m² de blé ! Il faut juste accepter de bouffer tous les jours de la polenta… En bio, les rendements étant nettement inférieurs, il faut tripler la surface.
Toutoulogie
Il y a pléthore de vidéos YouTube et d’articles sur l’autonomie, comme celui-ci (source) qui recommande 1 500 m² pour une autonomie alimentaire totale pour 3 personnes ! Oeufs, viande et verger compris dans le packaging… Emporté dans son élan, l’auteur écrit qu’il faut 20 m² pour nourrir un cochon et 30 pour élever une chèvre. Pauvre cochon ! Mais attention, on ne peut jamais exclure que, derrière ces informations, se cache un âne en train de refaire le monde en pianotant sur son téléphone portable
En conclusion, 4 à 5 personnes à l’hectare
Pour ma part, je rejoins la proposition de Ferme d’Avenir, qui recommande 1 000 à 1 500 m² par personne en climat tempéré. Une estimation à prendre avec recul, car tous les sols ne se valent pas. Pour un sol pauvre et sans eau, il faut multiplier la surface par 10. Surface à laquelle il convient aussi d’ajouter un vieux principe agronomique : le quart de plus en jachère ; un quart pour nourrir la vie de son sol et la biodiversité sauvage.
De plus, sachant que tout acte agricole entraîne un déficit de fertilité, pour la maintenir, il faut rajouter 1 000 m² pour compenser les pertes de la zone cultivée. L’autonomie passe aussi par une connaissance approfondie des habitants du sol.
Les As du climat
Cette semaine, un journal pour les petits québécois a parler de mon travail : « En France, un agronome aime tellement les vers de terre qu’il milite depuis 10 ans pour créer une loi qui les protégerait. Selon lui, la nature, le climat et les humains s’en porteraient bien mieux. Étrange, tu penses ? Lis cet article et tu comprendras son combat ! »
L’Éloge du ver de terre n°1 est définitivement épuisé,
et il ne reste que quelques exemplaires du n°2.
Disponibles en librairie ou dans notre boutique.
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Merci pour cet article Christophe