Nommer, c’est faire exister. Ce qui n’est pas nommé est invisible aux yeux de la loi ; les vers de terre ne sont pas nommés, ils sont dans l’angle mort. Juridiquement, ils n’existent pas. Et présentement, la loi est l’instrument de leur disparition.
Juste ou injuste, la loi est toujours plus juste que la loi du plus fort. Quel avenir aurions-nous si chacun se faisait justice ? Or, les vers de terre sont soumis à la justice de chacun, à la loi du plus fort, ils n’ont ni droit ni protection, la loi française autorisant leur destruction jusqu’au dernier. Une situation parfaitement légale, puisque tout ce que la loi n’interdit pas ou n’encadre pas est autorisé.
Alors, comment juridiquement faire exister les vers de terre pour les préserver ? Il y a un vide juridique, vu que le droit animal n’est qu’un sujet de recherche sans réalité juridique, et que le ver de terre n’est toujours pas vu comme un animal à part entière. Alors, comment ? En changeant le climat intellectuel et en faisant inlassablement de la pédagogie.
La magie de la loi
Le monde virtuel d’internet nous permet de changer de nom pour cacher notre identité. Magique, la loi nous autorise donc à être les propres faussaires de notre existence. Que ce soit pour se protéger ou commettre des actes que la loi réprime, un pseudo n’a aucune existence juridique, nous sommes tordus.
Tordus au point d’autoriser les sévices graves et la torture sur les animaux sauvages ❗Sur les sauvages, mais pas sur les domestiqués, parce que ces derniers seraient doués de sensibilité contrairement aux autres… Vous y croyez ! !!! Art. 521-1 du Code pénal : « Le fait d’exercer des sévices graves ou de commettre un acte de cruauté envers un animal domestique, ou apprivoisé, ou tenu en captivité, est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende ».
Mais là où la loi est vicieuse, c’est qu’elle distingue le cochon selon son statut social : animal de loisir, élevé en batterie ou sauvage. Seul le cochon de compagnie est protégé par la loi n° 2015-177 du 16 février 2015 : « Les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité. »
Qu’est-ce que la personnalité juridique
Le Code civil ne la définit pas en tant que tel, mais c’est l’aptitude à avoir des droits et des devoirs. Au 17e siècle, l’État français avait promulgué une loi – le Code noir – pour sortir les personnes noires du droit. La première chose a été de leur enlever leur nom… Bref. Une entreprise a des droits, une rivière n’en a pas.
La Nouvelle-Zélande et l’Inde sont des pionniers dans ce domaine. Le fleuve Whanganui en Nouvelle-Zélande a obtenu les mêmes droits qu’une personne depuis 2017, tout comme le Gange et la Yamuna en Inde. Certains arbres bénéficient d’une protection, mais ils ne sont jamais classés pour ce qu’ils sont, c’est leur environnement qui est classé. Comme le parc d’un château !
On achève bien les vers de terre
De toute l’histoire de l’humanité, ils n’ont été protégés que pendant 10 ans, il y a 2 050 ans. Du temps de Cléopâtre et pour préserver la fertilité des terres de la vallée du Nil. Quant à moi, presque 10 ans que je m’y emploie. Non pas pour les protéger, ne soyons pas trop gourmands, juste pour préserver ceux qui existent encore. Déjà, ce serait énorme et ça changerait radicalement le paradigme agricole.
Le premier plaidoyer sur les vers de terre date de 1770
« Vers de terre, bien que semblant petits et insignifiants dans la chaîne de la nature, pourtant, si vous disparaissez, vous verriez un épouvantable chaos […] les vers semblent être les grands promoteurs de la végétation, qui pourraient survivre sans eux mais si mal… » Robert White, un naturaliste anglais (source) Et l’on doit au Français, Edmond Perrier, un limousin qui terminera sa carrière comme directeur du Muséum national d’Histoire naturelle, le premier livre sur les vers de terre en 1872.
Histoire de leur reconnaissance juridique
À ma connaissance, une histoire à la première personne du singulier… La première fois que j’ai interpellé l’État sur leur inexistence juridique, c’était du temps où Nicolas Hulot était « l’envoyé spécial pour la protection de la planète » du Président Hollande.
- Nov. 2016 : j’écrivais au Président Hollande : « Je concède que la cause paraît bien dérisoire face aux multiples conflits qui ravagent notre planète, mais sans sols nourriciers, ces conflits seront-ils plus apaisés dans un monde bouleversé par le changement climatique ? Je ne le crois pas. » Et de clore : « Avant la fin de votre mandat, pouvez-vous faire que l’État leur reconnaisse le droit à exister ? » Il n’a rien fait.
- Avril 2018 : « Sauver le ver de terre, l’un des premiers marqueurs de la biodiversité », le projet porté par l’association du Jardin vivant, que je préside, arrive en tête des projets pour la reconquête de la biodiversité lors d’une élection citoyenne organisée par le ministère de l’Écologie. Pendant 3 ans, nous avons piloté un programme de réhabilitation des vers de terre dans le modèle agricole soutenu par l’OFB.
- Mai 2018 : l’astrophysicien Hubert Reeves déclare : « La disparition des vers de terre est un phénomène aussi inquiétant que la fonte des glaces. » Et d’ajouter : « Le ver de terre est un bon exemple du fait qu’une toute petite chose à peine visible peut prendre une importance majeure. »
- Sept. 2018 : l’Éloge du ver de terre, publié par Flammarion, popularise les vers de terre. Plus de 200 articles dans la presse et reportages suivront, un aperçu
- Aout 2019 : suite à une nouvelle action, le ministère de l’Agriculture refuse de les préserver pour ne pas compromettre l’agriculture intensive… : « Les vers de terre ayant pour habitat le volume du sol, en particulier les sols cultivés, leur protection en tant qu’espèce pourrait compromettre la pratique de multiples activités sur les sols. »
- Sept. 2020 : sortie de Sauver le ver de terre, une édition soutenue par l’Office français de la biodiversité, un ouvrage offert à tous les CDI des lycées agricoles.
- Oct. 2020 : nous lançons en France la Journée mondiale des vers de terre, une journée initiée en 2016 par la Société britannique des vers de terre.
- Déc. 2021 : . Notre travail de sensibilisation des élus « payent » pour la première fois ! L’État reconnaît officiellement leur rôle dans la bonne santé des sols : « Garants de la bonne santé du sol, leur rôle est considérable : ils assurent le cycle des nutriments, la transformation du carbone ou encore la régulation des ravageurs et des maladies…/… Plus l’abondance et la richesse lombriciennes sont élevées, meilleur est l’état biologique du milieu considéré » (source).
- Avril 2023 : sortie de la suite de l’Eloge du ver de terre. L’AFP titre : « Christophe Gatineau, l’homme qui parle au nom des vers de terre »
- Avril 2024. Naissance de la Ligue de protection des vers de terre.
- De TF1 à France Info, France Inter, France Bleu, France 3 et RFI, la création de la Ligue a été fortement médiatisée. Les vers de terre ont même eu droit à leur première grande émission en direct et en national : « Les supers pouvoirs des vers de terre » (La Terre au carré). Plus : La Croix, Marianne, Reporterre, Basta…
L’Éloge du ver de terre n°1 est épuisé et ne sera pas réédité.
Idem pour le 2, bientôt épuisé, il ne sera pas réédité.
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