La seule différence entre un enchytréide et un ver de terre, c’est la taille ! L’enchytréide ne fait pas la maille pour être qualifié de lombric, car le diamètre de son corps est inférieur à 2 mm. Et pourtant, ces petits annélides sont bien plus nombreux dans un sol que les vers de terre, jusqu’à 300 000 par m² !
Ils se nourrissent de matière organique en décomposition et de microbes, vivent dans les 10 premiers centimètres du sol, dans l’humus, et leur travail est complémentaire à celui de leurs grands frères.
Dans les sols labourés ou bêchés, ils occupent toute la profondeur retournée. Dépigmentés et translucides, 700 espèces ont été répertoriées, ils dominent la faune du sol, mais leur travail de fourmi est largement sous-estimé.
Sur l’image qui illustre cet article, impossible de déterminer l’espèce sans microscope, tant les différences entre elles sont minimes. Quant au lombric, parfois surnommé le lombric vert, il est facilement reconnaissable en raison de sa teinte verdâtre. Il s’agit d’un Allolobophora chlorotica, un épi-endogé qui occupe la même niche écologique que les enchytréides.
Une interview de Céline Pelosi
Grande spécialiste de ces animaux à l’INRAE, où elle est directrice de recherche et écotoxicologue, je l’avais interviewée à ce sujet en 2019. Et l’interview avait été publiée dans Sauver le ver de terre pour accompagner la traduction française du livre de Charles Darwin : Rôle des vers de terre dans la formation de la terre végétale ; un livre toujours disponible en librairie ou dans notre boutique (8,80 €).
Pour l’anecdote, nous étions ensemble le 10 juin dernier sur France Inter pour une Terre au carré spéciale vers de terre : ÉCOUTER (55min) Et l’année dernière, nous avons publié dans Le Monde : « Les vers de terre sont des alliés plus précieux que le glyphosate pour la santé de notre planète et de ses habitants. »
Les enchytréides
Céline Pélosi : « Les Enchytréides sont les cousins germains des vers de terre car ils sont taxonomiquement (au niveau de la classification des organismes vivants) et fonctionnellement (au niveau du rôle joué dans les écosystèmes) très proches. Présents dans la plupart des sols du monde, les enchytréides sont des Annélides Oligochètes, au même titre que les vers de terre. Par contre, ils appartiennent à la mésofaune du sol (100 µm à 2 mm de diamètre) alors que les vers de terre sont des organismes de la macrofaune (Ø 2 à 20 mm). La principale différence est donc leur taille et, de là, l’échelle d’influence sur le système.
Vivant dans les horizons superficiels (5 à 10 premiers cm) dans les sols non travaillés, ils partagent l’habitat de certaines espèces de vers de terre épigées et endogées. Les interactions entre ces organismes sont mal connues mais, comme pour les vers de terre entre eux, elles peuvent être positives ou négatives. Par exemple, il semblerait que la présence d’anéciques adultes favorise l’activité des enchytréides alors qu’ils pourraient être en compétition pour l’espace et l’accès aux ressources avec les petits endogés de surface. »
Quel est précisément leur rôle ?
« Les enchytréides et les vers de terre ont des rôles fonctionnels similaires, mais à des échelles différentes. Ils sont fortement impliqués dans la dégradation de la matière organique du sol. Dotés d’une faible efficacité d’assimilation, ils ingèrent de grandes quantités de matière organique, plus de 2 kg de sol minéral par mètre carré dans les parcelles agricoles chaque année. Ils sont également impliqués dans l’évolution de la structure des sols en raison de leur comportement fouisseur, des boulettes fécales qu’ils produisent et du transport, de l’ingestion et du mélange des particules minérales et organiques du sol.
Ils influencent donc la porosité du sol, réduisant ainsi le compactage et augmentant la conductivité hydraulique et la concentration en oxygène dans les sols. Plus récemment, une étude a montré que leur présence pouvait influencer le développement de champignons phytopathogènes. »
Comment expliquer qu’ils sont quasi inconnus ?
Même des milieux professionnels, alors que leur rôle est fondamental.
« Je l’explique principalement par le fait que ces organismes ne sont pas toujours visibles à l’œil nu, contrairement aux vers de terre. Historiquement, la France s’est davantage intéressée aux vers de terre et nos voisins allemands ont beaucoup plus que nous de connaissances sur les enchytréides. Ce pays rassemble une majorité du faible nombre de spécialistes dans le domaine.
Si les enchytréides sont faciles à échantillonner dans les sols, ils sont peu étudiés en raison des difficultés liées à l’identification des individus à l’espèce. Seules quelques dizaines de personnes dans le monde travaillent actuellement sur le sujet, et la plupart étudient leur taxonomie. L’écologie fonctionnelle de ces organismes reste encore mal connue. »
Et l’impact du travail du sol ?
« On sait que le travail du sol, et en particulier le labour, modifie la distribution verticale des enchytréides et influence la dominance des genres et des espèces. Pour autant, conclure à un impact positif ou négatif du travail du sol sur l’abondance et la diversité des enchytréides n’est pas chose facile.
En effet, les résultats de la littérature sur ce sujet sont contrastés, principalement en raison des nombreux facteurs interagissant en même temps dans les parcelles d’études (ex. apports organiques, pesticides). Une perturbation » intermédiaire » comme un labour sans inversion semblerait favoriser leur abondance grâce à la matière organique disponible par incorporation de résidus végétaux, une porosité appropriée, une diminution des populations de vers de terre, et une absence d’exposition aux variations climatiques et aux prédateurs.
La matière organique enfouie par un labour pourra servir de source de nourriture aux enchytréides qui se nourrissent de résidus de végétaux en décomposition, mais également de microorganismes (bactéries, champignons). On dit qu’ils sont saprophages et microbivores.
Grâce à leur grande flexibilité alimentaire, ils peuvent également accéder à des sources de carbone récalcitrantes (> 10 ans) lorsque cela est nécessaire. Les enchytréides sont souvent qualifiés de transformateurs de litière et peuvent même être qualifiés d’ingénieurs chimiques puisqu’ils participent à la décomposition de la matière organique, indirectement en déposant des excréments qui deviennent des « hot-spots » de l’activité microbienne et, par conséquent, de la minéralisation, et directement puisque certaines espèces ont des enzymes pour digérer les résidus végétaux. »
Le 21 octobre est la Journée
mondiale des vers de terre 2024
Une journée pour rappeler qu’il est légal en France de détruire les vers de terre. Légal pour dire qu’il n’est pas illégal de les supprimer d’un sol, puisque la loi française autorise leur destruction jusqu’au dernier. Si vous connaissez des journalistes, des décideurs ou des élus, n’hésitez pas à leur rappeler, car cette destruction cache un effritement de notre souveraineté alimentaire ; l’effritement étant l’étape qui précède l’effondrement.
L’Éloge du ver de terre n°1 est épuisé et ne sera pas réédité.
Idem pour le 2, bientôt épuisé, il ne sera pas réédité.
En libraire ou dans notre boutique.