Avons-nous franchi un nouveau cap dans l’effondrement des populations d’hirondelles rustiques ? Sans vouloir jouer l’oiseau de mauvais augure, interrogeons-nous sur ce déclin invisible mais bien réel, avant de n’avoir plus que nos yeux pour pleurer.
Parce que l’érosion des populations d’hirondelles, de vers de terre et d’anguilles partage la même cause première : la perte de leur habitat. Je m’explique.
C’était pas mieux avant, sauf pour la biodiversité
Quand j’étais enfant, les hirondelles annonçaient le printemps. Leurs chants envahissaient les écuries des chevaux et des vaches, et leurs cris se mêlaient à ceux des martinets dans le ciel. Ces auxiliaires agricoles étaient attendues, car elles régulaient les mouches, moustiques et autres insectes volants. À l’époque, il y avait une dizaine de nids, aujourd’hui, un seul est habité sur la ferme familiale et encore pas tous les ans.
Idem dans la plupart des fermes saintongeaises, je suis Saintongeais, une hécatombe. Et pas seulement à cause des insecticides, il y a la radicalisation du temps et le bouleversement climatique, il n’y a plus de vaches sur ma commune de naissance, plus de bouses : une bouse fait vivre des quantités d’insectes et d’espèces. Un million et demi de fermes fermées en France depuis 1960, autant d’habitats en moins, l’hirondelle rustique loge à l’intérieur des bâtiments, c’est un comportement animal quasi unique.
Un déclin sans fin et sans espoir
Franck Taboury, chargé de mission LPO en Limousin, me disait que les hirondelles ont disparu de Limoges depuis 2020… Disparu = qui a cessé d’exister ! Limoges, une ville moyenne à la campagne, quid des grandes villes ?
En 20 ans, les trois quarts des hirondelles de fenêtre ont disparu en Limousin, et plus d’un tiers des hirondelles rustiques. Un déclin commencé bien avant, dans les années 80, un déclin au départ invisible, les populations s’effritant un peu plus tous les ans, avant un affaissement soudain. S’ensuit un tassement avant que l’effritement ne reprenne son cours jusqu’au jour où… Pour la première fois, dans le village limousin où je vis et travaille, je n’ai cette année qu’un seul nid habité contre 3 à 4 habituellement.
Zéro chez ma voisine, 0 chez mes autres voisins, 1 seul chez mon voisin d’en face, nous qui étions le village aux hirondelles rustiques. J’ai interrogé mes abonnés, j’en ai 50 000, et j’ai reçu environ 150 témoignages de personnes qui en hébergent. Tous vont dans le même sens à l’exemple de :
- Vosges, sud Épinal : « J’avais 3 nids, il en reste 2, mais ils restent désespérément vides cette année. » « Hélas, aucune n’est visible dans le ciel vosgien de mon village. » « 7 couples comme l’année dernière, pour l’instant qu’un seul qui couve. »
- Presqu’île Guérandaise : « Il y a 15 ans elles étaient plus d’une vingtaine… Puis 10, 6… Il y a 2 ans elles ne sont pas venues. L’année dernière, 2 sont arrivées début août et cette année elles sont 8 ! » Bretagne : « Pas de nichées chez nous. 3 hirondelles dans la rue. »
- Calvados, près de Bayeux : « sur la quinzaine de nids chez moi, un seul est habité cette année… un seul… » Etc. Etc.
- « Il y a 10 ans, c’était 8 à 10 couples qui nichaient… ce qui me posait des problèmes de salissures… il y a 4 ans il n’y en avait 3, l’année dernière 1 seul, cette année aucun… »
– 28,2 %
Le responsable du projet « Oiseaux de France » au siège de la LPO, Jérémy Dupuy, m’écrivait que la tendance nationale sur la période 2001-2021 était de moins 28,2 % pour l’hirondelle rustique. Sans oublier que l’érosion a commencé bien avant, les scientifiques estimant une chute de 60% des oiseaux des champs depuis 1980 (source).
Les nids artificiels, la fausse bonne idée
Pour éviter les salissures et encourager la nidification, on pose de plus en plus de nids artificiels pour les attirer, mais sans se demander comment elles vont continuer à conserver ce savoir-faire. À 2 reprises ces dernières années, j’ai observé des hirondelles qui ne savaient plus construire leur nid. Et pendant plus d’une semaine, elles se sont acharnées sans succès, jusqu’au moment où je les ai aidées à l’accrocher. La pose des fondations est technique et ne relève pas de l’innée, mais de l’apprentissage, de la même manière que les parents apprennent à leur progéniture à chasser ou à s’orienter pour être autonome.
Une autre fois, mal bâti, le nid est tombé. Il a fallu récupérer les oisillons, les répartir dans 2 paniers en osier, afin que les parents continuent à s’en occuper. Je ne vous cache pas que ça crée des liens.
L’anguille foisonnait dans les marais
Quand j’étais enfant, il y avait plein d’hirondelles, les sols étaient gavés de vers de terre et l’anguille foisonnait dans les marais de l’ancien golfe des Santons qui séparaient notre ferme du bord de mer. Aujourd’hui, l’anguille est sur la liste rouge des espèces en danger critique d’extinction. Triple buses et bordel, en moins de 50 ans. Et les vers de terre et les hirondelles sont sur le même chemin. C’était pas mieux avant, sauf pour ces espèces.
Et en premier, toutes partagent d’avoir perdu leur habitat.
Avons-nous conscience que notre alimentation
provient de l’habitat des vers de terre ?
Je ne le crois pas ! Avons-nous conscience que, sans hirondelles, nous utiliserons encore plus d’insecticides pour réguler les moustiques ? Je ne le crois pas. Et les moustiques tigres, y avez-vous pensé ? Un enfer dans certains départements… (source) des moustiques connus pour être vecteurs de nombreux virus !
À cela, ajoutons le Plan national de rénovation énergétique des bâtiments qui va encore restreindre l’habitat de nombreuses espèces ; nous ne voulons plus habiter avec les animaux non humains ! Cette semaine, c’est la Fête de la Nature en France, je me demande ce qu’il reste à fêter.
PS. A l’angle de notre grange, vendredi, un couple de martinets a attaqué un moineau pour lui voler son nid… Le moineau a eu la peur de sa vie
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