Il y a l’image d’Épinal d’un Limousin avec ses limousines broutant paisiblement dans les prés, et il y a la réalité, un peu moins bucolique, avec un système qui broie les éleveurs et leurs bêtes pour les remplacer par des unités industrielles. Des fermes qui disparaissent et du maïs qui remplace les prés, le bétail étant concentré pour faire du chiffre, voilà la tendance. Une situation qui fait les affaires des notables de la FNSEA pour récupérer des terres (source), mais qui ne fait pas celles des vers de terre qui vivaient jusqu’alors en symbiose avec les vaches.
Illustration article : Iga Palacz (Pologne) ; races non limousines.
La plus grande ferme-usine bovine française
La ferme des 1000 vaches avait fait du bruit, alors qu’elle n’en concentrait que 500 ; la ferme des 1000 veaux sur le Plateau de Millevaches avait fait du bruit, alors qu’elle n’en concentrait que 400 ! À 30 km de chez moi, il y a un centre d’engraissement industriel de 2500 têtes (source), avec une capacité de 4000, qui n’a jamais fait le moindre bruit médiatique ; et à 15 km, il y a un nouveau projet industriel de 3100 têtes de bétail avec 5 000 jeunes taureaux et vaches envoyés tous les ans à l’abattoir.
Une mécanique bien huilée pour faire passer la pilule
Marketing oblige, cette usine à bestiaux est presque vue par l’État comme une ferme agroécologique ! La preuve, le préfet de la Haute-Vienne n’a exigé aucune étude d’impact environnemental (source) en dépit de sa taille XXL ! C’est hallucinant et rendu possible depuis 2022, grâce à la modification de l’article R122-7 du code de l’environnement par le gouvernement, qui facilite leur implantation. En effet, la loi stipule que si (même par manque de personnel) l’Autorité environnementale n’a pas le temps d’émettre un avis dans un délai de 2 mois, l’avis est favorable… Aucune prise compte des dommages subis par les riverains, en particulier sur la dépréciation immobilière.
Une bonne nouvelle (si je puis dire) pour les riverains des éoliennes, méthaniseurs, fermes-usines… la Cour d’appel de Rennes vient de prendre un arrêt inédit qui va faire jurisprudence pour les protéger des nuisances (source). Par ailleurs, vous avez jusqu’au vendredi 12 avril pour donner votre avis sur ce projet XXL d’usine à bétail : ICI pour consulter le projet ; ICI pour donner votre avis ; ICI pour les lire ! Plus de 7 000 personnes ont déposé leur avis, le pompon revient à celle-ci : « On va enfin manger de la bonne viande… »
Le mot « usine » est-il correct ?
Généralement, on lui préfère le mot « atelier », plus positif et synonyme d’artisanat, même si les différentes sections d’une usine sont appelées des ateliers. Et il est également vrai que l’engraissage n’est qu’une section d’une chaine de production dont le but est de produire des carcasses. Que dit le dictionnaire ? Usine : système d’organisation du travail et de la production tel qu’il est mis en œuvre dans une usine. Pour optimiser les cadences de production, les animaux sont parqués pour dépenser le moins d’énergie, et ils sont nourris avec des aliments énergétiques. CNRTL : « Établissement qui évoque une usine par ses dimensions, par l’activité importante qui y règne, et par la priorité donnée au rendement. »
Produire des carcasses à la chaine
Dans ce système, les vers de terre sont écartés, puisqu’une grande partie des aliments sont importés et cultivés avec des engrais et des pesticides chimiques. Contrairement à un système herbager où chaque bouse fait vivre des milliers d’espèces, dont les vers de terre. Et leurs cacas, appelés agrégats ou turricules, vont ensuite nourrir les plantes qui nourrissent les vaches. Une chaine de production autonome et qui ne consomme aucune énergie ! Loin d’être un détail dans le contexte climatique actuel.
Une bouse, c’est une promesse de fertilité
Une simple bouse sèche retient le carbone dans les sols jusqu’à 5 ans. Dans une usine à bétail, le carbone de cette bouse retourne dans l’atmosphère les semaines suivantes quand elle est méthanisée pour en faire du gaz ou de l’électricité. Le célèbre naturaliste Marc Giraud écrit en 2014 dans son Safari dans la bouse : « Moins de 3,6 secondes après l’émission d’une bouse, les insectes arrivent… » Extrait du livre Sauver le ver de terre :
Dans un pré normand, les vers de terre pèsent aussi lourd que 5 vaches limousines à l’hectare. Dans un champ cultivé, où ils sont nourris avec des couverts verts et les résidus des récoltes, ils pèsent l’équivalent de 2 vaches. En revanche, en agriculture conventionnelle, ils ne pèsent guère plus qu’un veau ! Moins qu’un âne mort dans le quart des sols agricoles français.
Le paysan breton et auteur, André Pochon, disait qu’une vache est une tondeuse à l’avant et un épandeur à engrais à l’arrière. Appliqué aux vers de terre, cela revient à dire qu’ils vaudraient 5 vaches ! Petit zèle de langage visant à forcer le trait pour le grossir… leur seul trait commun est d’être des épandeurs à engrais et à fertilisant. Parce que ce n’est pas tout à fait la même chose. Un engrais engraisse la plante et dégraisse la vie du sol quand un fertilisant engraisse ceux qui produisent l’engrais pour les plantes. Prenez le temps de digérer, c’est un cycle d’engraissés engraisseurs…
À l’heure où l’État devrait prendre soin de ses éleveurs et de ses cultivateurs en leur garantissant un revenu mensuel minimum garanti, et non des prix planchers qui vont surtout bénéficier aux fermes-usines et à l’agro-industrie ; à l’heure où le gouvernement devrait encourager les systèmes herbagers, le système agroécologique ancestral le plus respectueux pour les éleveurs, les animaux et la planète, il encourage les élevages industriels qui rendent tout le monde malheureux, sauf les actionnaires !
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L’Éloge du ver de terre N°1 est épuisé et ne sera pas réédité ; le N°2 sera épuisé d’ici cet été ! Quid de la suite ? Les livres sont notre seule source de financement, en libraire ou dans notre boutique.