À ma connaissance, le ver de terre est le seul être rampant à ne pas savoir nager ! S’il tombe dans l’eau, il coule à pic et finit par se noyer s’il ne parvient pas à trouver un moyen de s’en sortir. Ce pour quoi, plus imprudents, ce sont souvent des juvéniles que l’on retrouve les 4 fers en l’air.
Il panique
Sa première réaction est de paniquer. Il est en stress total, il dépense énormément d’énergie à gigoter pour en sortir, dépérissant à vue d’œil comme neige au soleil.
Il y a quelques années, j’ai eu l’occasion d’observer plusieurs épigés tombés dans une bassine pleine d’eau. Ils ont frénétiquement ausculté le fond, relevant parfois la tête, fouillant la moindre petite motte de terre. Mais la bassine étant en plastique… il n’y avait pas d’échappatoire ! J’ai ensuite plongé un morceau de branche en espérant qu’ils y grimpent. Mais non, ils se sont contentés de se regrouper autour et c’est tout. Faut dire que les épigés ne sont pas des animaux très évolués, mais un lombric terrestre n’a pas fait mieux lors d’une autre observation en d’autres lieux. En revanche, dès que j’ai mis hors de l’eau la tête de ce tête noire qui illustre l’article, il a exploité cette brèche pour s’en sortir.
Il vit au ralenti pour survivre à la noyade
Quant aux épigés, 2 heures après, ils flottaient dans le fond de la bassine comme morts. J’ai vidé l’eau et en quelques secondes, frais comme des gardons, ils se mettent à serpenter pour se sauver parmi les herbes. Cette observation ne doit pas faire loi, c’est juste ce que j’ai observé ce jour-là. (+ d’infos sur leur respiration cutanée : lire)
Le Limousin EDMOND PERRIER (1844-1921), président de l’Académie des sciences en 1915 et directeur du Muséum national d’histoire naturelle de 1900 à 1919, préfacier de la version française du livre de Charles Darwin sur les vers de terre et passionné par ces animaux, a dit en avoir conservé plusieurs grands complètement immergés pendant plusieurs mois ! Une information à prendre avec des pincettes, puisque la classification distingue uniquement les vers de terre des vers marins ! Même les vers d’eau douce sont considérés comme des vers de terre… Actuellement, ces vers « de terre » sont répartis en 23 familles et 5755 espèces et sous-espèces (source). J’ai essayé en vain de savoir pourquoi un ver d’eau est classé comme un ver de terre : personne n’a su me répondre.
Ces vers de terre arboricoles
Dans Sauver le ver de terre, le professeur émérite Patrick Lavelle rapporte qu’en Amazonie, une espèce du genre Andiodrilus, qui vit dans des forêts inondables, grimpe dans les arbres quand elles sont inondées ! Elle s’agglutine dans les Broméliacées (famille des ananas) où elle trouve une nourriture abondante à l’intersection des feuilles et du tronc, puis elle se laisse tomber sur le sol une fois l’eau retirée.
J’avais lu un témoignage similaire dans le Marais poitevin, où des épigés grimpaient dans les trognes pour y manger les feuilles en décomposition. Une nourriture dont ils raffolent, mais sans aucun lien avec des inondations. Comment peuvent-ils savoir qu’il y a à manger en haut de ces arbres ? Qui leur a dit… car ça réclame beaucoup d’énergie pour y accéder, outre de s’exposer aux prédateurs. Même en Limousin, dans mon jardin, les épigés grimpent pendant l’hiver dans les choux et les bananiers (hé oui, nous en avons) pour y déguster la matière organique en décomposition.
Dans un article publié dans The Conversation, deux chercheurs français, Lise Dupont et Mathieu Coulis, suggèrent que certaines espèces de vers de terre seraient même devenues arboricoles en Martinique : « Nos résultats suggèrent donc qu’au cours de leur histoire évolutive, certaines espèces ont fini par occuper presque exclusivement cette niche écologique et ainsi devenir des spécialistes des Broméliacées. »
Quid pendant les inondations
Périssent-ils tous noyés ? Non. Vivant sur le sol, les épigés sont bien évidemment les plus exposés. Quant aux autres, on ne peut exclure que quelques-uns se fassent piéger, à l’instar de certains épi anéciques sortant de leur terrier au pic du soleil avant de se faire fusiller par le soleil quelques minutes plus tard ! C’est ainsi, toutes les espèces animales sont logées à la même enseigne : il y a des exceptions, des individualités, des initiatives heureuses et malheureuses comme chez les êtres humains.
Sous la terre, tout concourt à valider qu’ils savent se protéger, comme ils savent se protéger quand le sol est sec en profondeur. Ils se replient pendant plusieurs mois sans souci, l’état de vie au ralenti chez les vers de terre étant bien documenté sur le plan scientifique. J’en parlais dans l’Éloge 2018 et dans Sauver le ver de terre, c’est un processus biologique qui leur permet de résister quand les conditions environnementales sont défavorables. N’oublions pas que ces bestioles ont plus de 500 millions d’années d’expérience… et qu’elles ont survécu à toutes les extinctions, dont celle des dinosaures…
Et enfin, il est connu que leurs agrégats (quand ils font caca dans le sol) ou leurs turricules (quand ils font caca sur le sol) sont recouverts d’un mince film hydromorphe qui limite les échanges air/eau. Ce qui, par ricochet, réduit l’activité microbienne et la minéralisation des matières organiques non digérées. En toute hypothèse, ajoutée au ralentissement biologique de leur corps, cette substance fait peut-être partie de leur arsenal de défense contre les inondations. Le corps s’adapte et apprend à s’adapter, le record du monde sans respirer est de 11 min et 35 s chez les humains !
🪱 Pour nous soutenir
L’Éloge du ver de terre N°1 est épuisé et ne sera pas réédité ; le N°2 sera épuisé d’ici cet été ! Quid de la suite ? Les livres sont notre seule source de financement, en libraire ou dans notre boutique.