Dans la série Yellowstone, sur l’univers des cowboys du Montana, les scénaristes font dire à l’un des acteurs chargés d’abattre un cheval blessé : « Je préfère tuer mille hommes qu’un cheval ! » Le ton est donné : il y a les gens de chevaux, il y a les autres.
Pour noël, je vous partage l’histoire merveilleuse de cette jument qui a pris les rênes en plein milieu d’une course pour ne pas la perdre. Bien sûr, avec l’accord de son cavalier, et pas des moindres, puisqu’il va participer aux prochains Jeux olympiques. Quant à la jument, c’est mon frère qui l’a mise au monde et élevée.
Illustration : chevaux camarguais – 2021 – Un grand merci au photographe Laurent Baheux pour le prêt. www.laurentbaheux.com
jusqu’à leur dernier souffle
Dans ma famille, l’un de mes arrière-grands-pères a fini sa vie avec un cheval en liberté devant chez lui, comme d’autres ont un chat ou un chien. Mon frérot lui a emboîté le pas, il est paysan éleveur de chevaux de sport. Déjà, enfant, il passait en toute confiance entre leurs pattes, adulte, il n’en a jamais envoyé un seul à l’abattoir. Et pas par sentimentalisme ou idéologie.
Une posture à contre-courant, puisqu’un cheval doit toujours courir plus vite, sauter plus haut, et rapporter sans cesse de l’argent à ses propriétaires pour rester en vite, un cheval de course passant plus vite que son ombre de la lumière à l’assiette ; ou du câlin en croquettes ! Je sais, c’est violent.
Mon frère les garde jusqu’à leur dernier souffle, cultivant une tradition où le cheval est un être sensible avant d’être un produit. Une posture qu’il paye très cher sur le plan économique, car les banquiers ne sont pas sensibles à cette manière de faire : les sous avant tout, après eux, le déluge. En réalité, il utilise ses vieux chevaux pour éduquer les jeunes.
FOU DE CHEVAUX
Aristide Benon, notre arrière-grand-père, était fou de chevaux. Sa descendance ne l’était pas, mon frère est le seul à l’être. Côté paternel, notre arrière-grand-père ne l’était pas, l’un de ses fils l’était, notre père ne les aime pas, moi, je préfère l’esprit de la vache ! Il y a des choses qui ne se transmettent pas. Les vrais gens de chevaux sont des gens à part, et il ne suffit pas de savoir monter ou les aimer pour en être. Avec mon frère, une sorte de plafond de verre nous a séparés pendant très longtemps ; aujourd’hui, il est plus perméable.
CENTAURE
Mon frère Laurent m’a avoué avoir ressenti une seule fois l’état du Centaure, cette créature mi-homme mi-cheval de la mythologie grecque, quand l’Homme et le cheval se fondent pour ne faire qu’un. Un moment de grâce rarissime qui ne s’obtient ni par le dressage ni par la soumission. Pour l’écriture d’un film, qui n’a jamais vu le jour, sur Nuno Oliveira, un écuyer me souffla vivre parfois cette expérience avec l’un de ses chevaux. Le cheval attendait ces moments fusionnels selon lui, mais ce ne sont pas des choses qui se chantent sur les toits.
PAYSAN éleveur
Laurent est donc un paysan éleveur de chevaux de sport, une espèce en voie d’extinction. En résumé, c’est un agriculteur qui, en parallèle, élève quelques poulinières et fait de la sélection. Aristide était très fier d’être d’avoir fait naître une trotteuse ayant fait 3e à Vincennes en 1955 ! La photo du finish trônait au-dessus de sa cheminée comme un trophée. L’avantage d’être paysan, c’est de produire la nourriture de ses chevaux ; l’avantage d’être naisseur, c’est de travailler sur des lignées et des traits de caractère. Mon frère travaille (entre autres) sur un trait peu recherché dans le cheval de sport : la gentillesse ! Avoir des chevaux calmes et intelligents ! Exemple.
Il n’a pu retenir ses larmes en regardant courir sa jument lors du dernier Mondial du lion d’Angers, une course qui compte pour le Championnat du monde des 6/7 ans. Il m’a dit avoir vécu des émotions comme jamais. De plus, tellement heureux que le cavalier Cyril Gavrilovic ait compris les attentes de Gatine de l’Aubrée.
LA JUMENT
qui voulait prendre les rênes !
Gatine est une jument dite difficile, car elle sait ce qu’elle veut ! À savoir qu’il faut parfois la laisser faire pour obtenir le meilleur d’elle-même. C’est un cheval d’exception quand elle pense être comprise par son cavalier. Au milieu de la course, à Angers, elle perd un fer. Le terrain est lourd et glissant, et les prochains obstacles difficiles et périlleux. C’est un cross. Alors, foutu pour foutu, le cavalier décide de lui « donner » les rênes !
En d’autres termes, il lui « dit » que c’est à elle de décider comment les passer. Et c’est exactement ce qu’attendait la jument : faire équipe. Elle fait confiance au cavalier, il doit lui faire confiance. Sur 3 fers… elle a passé les obstacles de main de maître, se laissant même un peu glisser pour mieux se positionner. Elle est trop jeune pour participer aux prochains Jeux olympiques, lire l’art. de Cheval mag, mais une star est née.
Et pourquoi se comporte-t-elle ainsi ?
Parce qu’elle a la gagne en elle, elle ne lâche rien, elle a l’esprit de compétition. Pour anticiper la réflexion des animalistes qui m’argueront que ce comportement n’est pas naturel, qu’est-ce que la nature ? Tous les comportements sont dans leur nature, et la diversité des personnalités chez les animaux est tout aussi importante que chez les humains. Pour clore, le plus drôle dans cette affaire de famille, c’est que je n’ai jamais réussi à faire confiance à ces animaux, je ne les comprends pas.
J’écrirai d’autres articles sur mon frère. D’abord, parce qu’il exprime peu, alors qu’il sait beaucoup, plus proche d’eux que de nous. Ensuite, il n’est plus tout jeune… 😁 et c’est une bibliothèque équine sur pattes. Il vit cheval, il vit 7 jours sur 7 avec ses chevaux et pour ses chevaux, une vie de bourrin… 😁 à cheval sur 2 mondes.
L’info de l’année
L’équitation n’est pas née
en Europe, mais en Amérique !
On dit que le cheval a été importé au Nouveau Monde par l’Ancien, alors la tradition orale des Lakotas dit que le cheval a toujours été à leurs côtés… Et ce, bien avant l’arrivée des barbares européens ; une tradition désormais scientifiquement confirmée grâce à l’analyse ADN d’un cheval retrouvé congelé dans le pergélisol du nord du Canada. Et dans les restes datés de 6 000 à 8 000 ans, les chercheurs ont identifié qu’il avait été nourri au maïs. Ils ont vu que les Amérindiens élevaient et prenaient soin des chevaux, et qu’ils avaient déjà développé un savoir-faire équestre bien avant que nous ne connaissions cet art ! (Source) Lire cette étude publiée dans Science le 30 mars dernier, et qui est signée par plus de 80 scientifiques.
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