Dans un lombrifiltre, le filtre n’est pas le ver de terre, mais l’arbre ! Pas l’arbre sur pied à l’image du roseau filtrant l’eau usée en phytoépuration, non, le filtre, c’est l’arbre déchiqueté à grand renfort d’énergies fossiles ! L’image est moins flatteuse, j’en conviens, même si le système reste l’un des plus économes en énergie !!!
Désolé d’être sans filtre, mais je me suis fait avoir par des promoteurs de ce système d’assainissement où les vers de terre purifieraient soi-disant les eaux usées par nos urines, matières fécales et produits nettoyants. Septique Sceptique vis-à-vis du fonctionnement de leur système digestif, ma méfiance « légendaire » en a pris un coup sur la cafetière, puisque j’ai fini par publier dimanche dernier que les vers de terre filtraient l’eau en la buvant… avant de rétropédaler mercredi en effaçant l’article.
Comme un filtre à café
Là où j’ai été trompé, c’est que les vers de terre ne filtrent pas l’eau pour se nourrir, mais mangent la matière organique déposée dans le filtre où transitent les eaux usées ! Autrement dit, ils évitent que le filtre ne se bouche. Concrètement, imaginez un filtre à café de 1m 20 de hauteur, rempli de bois déchiqueté nommé délicieusement par le marketing, plaquettes forestières, et où au travers passent les eaux usées. Les éléments solides sont retenus par le bois, la partie liquide sort par le bas du filtre, et les lombriciens vont se nourrir de cette matière retenue. Un des concepteurs m’écrira : « On peut dire que 3 vers de terre traitent le contenu solide d’un verre d’eau usée ! »
Tirent-ils la chasse ?
Ils disent que c’est un système inspiré de la nature, qu’on n’a rien inventé. En réalité, c’est un système qui a été inventé au Chili avant d’être importé en France dans les années 90… (source) Ils disent aussi que c’est un système qui ne produit ni boue ni digestat résultant de la digestion des vers de terre, mais à moins qu’ils aient été bien dressés pour aller faire cacas dans l’eau et tirer la chasse, on se demande où passent leurs précieuses matières fécales ? Sûrement qu’elles sont emportées avec la partie liquide. Ce qui est alors présenté comme un avantage, style zéro déchet, devient un big problème, puisque le système est ouvert et ne permet pas de les remettre dans le cycle. Curieusement, dès qu’il s’agit de purifier l’eau potable que nous souillons comme des…, le but est toujours de jeter le bébé avec l’eau du bain, jamais de recycler.
Des épigés
ATTENTION, il ne s’agit pas de vrais vers de terre au sens littéral, puisqu’ils ne vivent ni dans la terre ni n’en mangent. Il s’agit de deux espèces stars des composts, Eisenia fetida et Eisenia andrei, des détritivores au cycle de vie court et au taux de reproduction élevé, contrairement au lombric terrestre, la star de mes écrits. Car il existe des centaines d’espèces de lombrics sur notre planète, et certaines sont radicalement différentes les unes des autres sur le plan biologique. Ces Eisenia se nourrissent habituellement de déchets végétaux en décomposition et ils sont classés « épigés » : « Qui vit et croît à la surface de la Terre, au-dessus du sol. »
Le système reste génial
Ce qui l’est moins, c’est sa grande consommation en arbres et forêts. En effet, un 1,2 m³ de bois filtrent les eaux de 4 personnes en été et 2 personnes en hiver, le froid diminuant l’activité des lombrics. Une forêt produit en moyenne 5,6 m³ de bois à l’hectare par an en France (source IGN 2012), soit la production d’un hectare pour filtrer les eaux qu’une quinzaine de personnes. Pour de petites communes, villages ou à titre individuel, c’est beaucoup de bois, mais c’est jouable, même si tous les ans, il faut refaire le plein, car le système perd environ 10 % de son volume. Mais impossible d’étendre ce type d’assainissement naturel aux 7,1 millions d’habitants de Paris et sa banlieue. À cause des immenses surfaces de sols agricoles à artificialiser et des forêts à raser pour remplir les filtres. Les villes et les métropoles sont sont donc condamnées à épurer leurs eaux usées avec des énergies fossiles et de la chimie qui réchauffent le climat et artificialisent les sols…
La planète est trop petite,
nous manquons désormais de sols !
Vu l’augmentation spectaculaire de la population mondiale depuis la Seconde Guerre mondiale, ce n’est pas le seul secteur où la nature est dépassée et la chimie requise. C’est le cas des teintures utilisées pour colorer nos vêtements et pour lesquelles il n’y a plus assez de sols pour les cultiver. Pourtant, 20% de la pollution mondiale des eaux seraient imputable aux teintures chimiques utilisées par l’industrie textile. Prenons juste l’exemple du bleu, il était extrait au Moyen-âge des feuilles d’une plante herbacée bisannuelle mellifère et médicinale : le pastel des teinturiers, Isatis tinctoria L. Et pour en extraire deux kilos, il fallait une tonne de feuilles…
Pour revenir à l’épuration naturelle, il y a aussi la phytoépuration qui utilise des roseaux à la place du bois et des vers de terre. Or, elle consomme encore plus de sols, puisqu’il faut compter 2 m² de filtre par personne. En revanche, son intégration environnementale est sans égal. Pour de petites stations de traitement, qui ne sauveront pas la planète, la solution réside peut-être dans le couplage des deux systèmes : bois, vers de terre et roseaux, pour des rejets encore plus épurés.
La lombrifiltration et la phytoépuration sont les deux seules alternatives à la chimie, en dehors, bien entendu, de l’engrais flamand et des toilettes sèches, le top du summum… à retrouver dans mon prochain livre 😉
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