Résumé. Le 29 juin dernier, la presse s’est enflammée pour une décision de justice qui condamnait l’État à réparer le préjudice écologique causé par l’usage des pesticides, sauf que l’État n’a pas été condamné à réparer quoi que ce soit, et encore moins les préjudices.
L’État condamné, l’État innocenté
Ce 29 juin, une première en France, la Justice a condamné l’État pour préjudice écologique lié à l’utilisation des pesticides (source). Au départ, cinq associations qui déposent une requête le 10 février 2022 auprès du tribunal administratif de Paris, et qui réclament que l’État soit puni pour carence fautive entraînant un effondrement de la biodiversité.
Toute la presse s’est fait l’écho (appuyé) de cette juste victoire pour le vivant, mais en y regardant de plus près, certes, l’État a été jugé coupable, mais pas totalement responsable ! De plus, on croit que l’État a été condamné à réparer les préjudices qu’il a causés, sauf qu’il n’a aucune obligation à réparer quoi que ce soit.
Extraits choisis
« Par un jugement n° 2200534/4-1 du 29 juin 2023, le tribunal administratif de Paris reconnaît l’existence d’un préjudice écologique résultant de la contamination généralisée, diffuse, chronique et durable des eaux et des sols par les substances actives de produits phytopharmaceutiques, du déclin de la biodiversité et de la biomasse et de l’atteinte aux bénéfices tirés par l’homme de l’environnement. Il enjoint à l’État de le réparer d’ici le 30 juin 2024. »
Point 47 du jugement : « L’État ne peut être regardé comme responsable du préjudice écologique invoqué par les associations requérantes… » Sur le préjudice moral, point 50 : « Les associations requérantes peuvent prétendre à la réparation par l’État de ces carences fautives sous réserve de démontrer l’existence d’un préjudice… » En d’autres mots, la Justice dit qu’il y a sûrement un préjudice, mais qu’il reste à démontrer !
À la source du préjudice écologique, l’AMM
L’AMM, c’est l’autorisation de mise sur le marché (source), et elle permet à un industriel de commercialiser un pesticide pour un ou plusieurs usages pendant X années. En amont, il y a le processus d’évaluation des risques qui vise à expertiser les effets secondaires du pesticide, notamment les préjudices qu’il pourrait causer sur la biodiversité et les eaux douces et potables. Lorsque l’industriel soumet sa demande d’AMM aux autorités, il fournit donc toutes les données permettant de garantir que son produit n’en créera pas. C’est l’élément clef.
Or, vu que le préjudice écologique est désormais reconnu sur le plan juridique, il n’y a que deux possibles : soit les industriels mentent, soit les règles de mise sur le marché ne sont pas bonnes. Mais, contre toute attente, le juge a préféré botter en touche : « En revanche, en ce qui concerne les procédures d’évaluation et d’autorisation de mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques, si le tribunal reconnaît des carences fautives de l’État au regard du principe de précaution, il a néanmoins considéré que le lien de causalité entre ces insuffisances et le préjudice écologique reconnu n’était pas certain. »
Le lien n’est pas certain
Effectivement, en fumant comme un pompier, on n’est pas certain d’attraper un cancer du poumon.
Le pire n’est jamais certain, tout comme on n’est jamais certain de provoquer un accident en roulant en état d’ivresse ! Il y a toujours l’exception qui confirme la règle. Et présentement, la Justice a retenu l’exception. Juste hallucinant.
Que dirait-on d’un constructeur automobile qui mettrait sur le marché une voiture polluante en partant du principe qu’il n’est pas certain que nos émissions de CO2 aient un impact sur le réchauffement climatique ? C’est d’ailleurs plutôt une idée répandue, plus d’un tiers des Français le pensent, même le ministre de l’Écologie l’a dit le 11 avril dernier à l’Assemblée nationale : « Le réchauffement climatique est une réalité qui n’est pas politique, mais naturelle. » (source)
Certains scientifiques vont même jusqu’à affirmer que les herbicides préserveraient les sols, contrairement au labour qui les détruirait. Le S-Métolachlore, un herbicide reconnu pour avoir pollué gravement nos eaux souterraines et potables, toujours autorisé en Europe et prochainement interdit en France, avait brillamment obtenu son AMM ! Mais pour le juge, le lien de causalité n’est pas certain ! Bref. La cause du réchauffement climatique, comme celle du préjudice écologique lié aux pesticides, est strictement politique. C’est l’État qui fixe les règles. Et autant certaines évoluent sans cesse, à l’exemple de celles du Code de la route, autant d’autres sont figées dans le marbre à l’exemple de celles liées aux pesticides.
La réaction sur Twitter de l’avocat spécialisé en droit public et droit de l’environnement, Arnaud Gossement, illustre parfaitement la situation : « L’absence de réparation en nature/financière du préjudice écologique interroge tout comme l’absence de remise cause des procédures d’évaluation et de suivi. En route donc pour le plan écophyto 3 avec un État qui n’est pas encouragé à prendre des engagements plus contraignants. »
Les associations ont crié victoire un peu trop rapidement
On comprend leur besoin de montrer à ceux qui les financent qu’elles sont efficaces, et que l’argent est utilisé à bon escient. Mais présentement, la Justice a conclu à un doute, puisque le lien de causalité entre l’AMM et le préjudice écologique n’est pas certain. Autrement dit, il reste à prouver. C’est un principe de justice, le doute bénéficie toujours à l’accusé tant qu’il n’est pas formellement reconnu coupable. N’oublions pas que l’industrie du tabac a longtemps prospéré sur ce doute. En conclusion, le grand gagnant, c’est Phyteis, le syndicat professionnel des producteurs de pesticides qui s’est invité dans ce procès et dont l’avis a pesé sur la décision.
La suite de l’Éloge du ver de terre, publié
en 2018 chez Flammarion, est sortie au mois d’avril.
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