En théorie, une agriculture sans pesticides est possible, en théorie, l’agriculture biologique devrait être sans pesticides, en théorie, tout est possible.
Autant nous avons du mal à imaginer une agriculture sans tracteurs, un monde sans voitures, sans moteurs, sans électricité, sans eau chaude, sans internet ou sans smartphones, autant nous croyons pouvoir nous débarrasser des pesticides comme par enchantement. Pourtant, chaque petit pas que nous avons fait pour en sortir s’est toujours soldé par de grands pas en arrière. Pourquoi ? À cause de l’inexistence juridique de la planète, de l’environnement, de la Nature, de la biodiversité.
Les pesticides ont plus
de droits que la Nature !
Un château a des droits, un tableau a des droits, la loi française les protège. La nature n’a pas de droits, les océans, les fleuves et les rivières n’ont pas de droits, les forêts et les sols nourriciers n’ont pas de droits, le ver de terre n’a pas de droits. Extrait de l’Éloge du ver de terre n°2. Les pesticides ont des droits, la loi les protège.
« Les pesticides appauvrissent les sols ! »
Déclaration du ministre de l’Agriculture. Source : Journal officiel du 14/12/2021, page 8838 : « La monoculture, le labour profond et les produits phytosanitaires affectent aujourd’hui cet équilibre en appauvrissant les terres », ajouta-t-il. Et on ne peut pas l’accuser de méconnaître son sujet, puisqu’il est le seul ministre de l’Agriculture à avoir été formé dans la prestigieuse école d’agriculture d’AgroParisTech, « l’Oxford du ver de terre »…
Évacuons tout de suite ce mépris qui consiste toujours à blâmer les agriculteurs dès qu’on aborde ce sujet. Rappelons qu’ils utilisent des pesticides censés être respectueux de l’environnement aux yeux de la loi. Sont-ils pour autant responsables du laxisme de la loi ? Que la loi fasse la part belle aux firmes de la chimie ? Non, non et non. Même l’intensification de l’agriculture est une décision politique inscrite au cœur de nos lois. Je ne cherche pas à les excuser, j’invite seulement à ne pas se tromper d’ennemis.
L’intensification agricole, un choix civilisationnel
Le 15 mai 2023, une étude scientifique désigne l’intensification comme la première cause de la disparition des oiseaux en Europe, et le réchauffement climatique comme la seconde. Le communiqué de presse commun du CNRS, de l’université de Montpellier et du Muséum national d’histoire naturelle est clair : « L’intensification de l’agriculture est à l’origine de la disparition des oiseaux en Europe. » (source)
Le journal Le Monde titre : « Pesticides et engrais, causes majeures de l’effondrement des populations d’oiseaux en Europe… » alors que la cause majeure, c’est l’intensification. La cause est politique, l’intensification agricole est une décision politique, et les pesticides et les engrais chimiques ne sont que des moyens pour la réaliser. Aucun média n’osera aller sur ce terrain pour pointer le pouvoir législatif. En l’espèce, les parlementaires, ceux qui votent les lois. Aucun ne dira que la législation est laxiste et qu’il est urgent de moderniser le protocole d’autorisation de mise sur le marché des pesticides pour sécuriser leurs usages. Car, présentement, il n’est pas fiable.
Prenons l’exemple d’une législation évolutive
Au fil du temps, les voitures sont devenues plus sobres et moins polluantes, leur système de freinage a été amélioré, et la législation est beaucoup plus sévère sur la consommation d’alcool, les contrôles techniques et la vitesse. Quelles conséquences sur la mortalité routière ? 1961 : 9 000 morts (autos, motos, camions) ; 1971 : 16 000 ; 1981 : 12 000 ; 1991 : 9 500 ; 2001 : 7 500 ; 2011 : 4 000 (source), alors que le nombre de véhicules en circulation n’a pas cessé d’augmenter depuis 1961. En 2021, le nombre de morts sur les routes est tombé à 2 944. (source)
Ces bons chiffres (si je puis dire) sont le résultat d’une législation évolutive. À l’inverse de celle sur les pesticides qui semble figée dans le marbre. Il est par exemple avéré que les sols sont des écosystèmes aussi riches et diversifiés que les océans, mais ils sont absents du protocole d’homologation des pesticides ! (source) Pire, une seule espèce souterraine est prise en compte, un collembole, et uniquement l’impact sur sa reproduction est testé. C’est pauvre pour un milieu aussi riche. Quant aux vers de terre, dont l’importance n’est plus à démontrer, l’espèce choisie ne vit pas dans les sols, ne « mange » pas de terre et ne sera jamais en contact avec les pesticides… Le comble. Plus d’info dans ma tribune publiée dans Marianne : « Pour une agriculture durable, il faut tester la toxicité des pesticides sur les vers de terre. »
En théorie, une agriculture sans pesticides est possible
En théorie, l’agriculture biologique devrait être sans pesticides, sauf qu’elle en utilise. Certes, leur usage n’est pas systématique, contrairement aux agricultures intensives et régénératrices, mais elle en utilise. Certains pesticides sont même communs, comme la bouillie bordelaise ou les insecticides à base de pyréthrines. La seule différence est de ne pas être issus de la chimie de synthèse, sauf pour la « bouillie ». Les pesticides homologués bio ont une faible rémanence dans l’environnement, autrement dit on ne les retrouve pas dans l’eau du robinet, ils sont plus sécurisés, car leur protocole d’homologation est plus sévère.
Pourquoi utilise-t-on des pesticides en bio ?
On ne gère pas 10 choux dans son jardin comme 10 000 dans un champ, on ne gère pas 10 pieds de pommes de terre comme 10 hectares de patates. Dans un potager, l’observation régulière suffit amplement à anticiper et gérer les parasites. Chimiques ou bio, tous les produits devraient y être proscrits, car ils sont contre-productifs. Contre-productifs, car en détruisant le « nuisible », on détruit au même titre son prédateur ainsi que tous les auxiliaires qui passaient dans le coin. Cet enchaînement morbide est la face sombre des pesticides.
Mais en grandes cultures, obligatoire pour nourrir une population qui a délaissé la terre, c’est actuellement en France moins de 1 % de la population qui nourrit le pays, contre 80 % il y a un siècle. Depuis 1950, c’est 2 millions de fermes parties en fumée, donc 2 millions de familles d’agriculteurs en moins. Et ce 1 % continue d’être réduit sous la pression des firmes de l’agroalimentaire, augmentant par ricochet la dépendance de l’agriculture aux produits. Nous sommes déjà dans l’ère de l’agro-industrie. La France compte désormais 3010 fermes-usines où des millions d’animaux vivent entassés comme des sardines en boite. (Source)
Nous n’en sortirons pas avant le retour de la bougie
Vu l’état actuel de la planète, du climat, des sols et des rendements imposés, vu l’intensification des cycles de l’eau et du carbone, vu les variétés cultivées, la démographie et la crise de la matière organique, comment peut-on croire se passer des 2 piliers de l’intensification que sont les pesticides et les engrais chimiques ? De plus dans un contexte mondial où les nations s’accaparent à l’étranger les terres agricoles pour produire de l’énergie (gaz et électricité) et des biocarburants, et où l’injonction politique est la croissance, l’intensification de l’agriculture intensive, la performance, la compétition et les rendements financiers.
Le seul possible est de moderniser le protocole d’homologation des pesticides pour diminuer au maximum leur impact toxique sur la planète. Et il est dans les mains des élus de la République.
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