Au royaume des vers de terre est un documentaire diffusé sur Arte à l’occasion du Jour de la Terre (22 avril). Et bien que les vers de terre y soient superbement filmés, ils y sont peu présents. Le sujet, c’est leur royaume, le sol. Un film résumé ainsi sur le site de la chaîne : « Comment le sol se forme-t-il et quel rôle jouent les nombreuses espèces, comme le lombric, qui y vivent ? Une exploration d’une terre grouillante de vie, qui souligne la nécessité d’en prendre soin. »
Dès la première minute, le décor est planté
« Le sol est le socle de toute vie terrestre. Tout ce qu’on boit, mange et respire, est lié au sol. » Et le sol, c’est précisément l’habitat des vers de terre, leur milieu de vie. Puis le propos s’éloigne. Sur une durée totale de 52 minutes, seulement une douzaine sont consacrées à l’animal.
Autre extrait sur le site d’Arte : « Si les sous-sols s’avèrent plus riches encore en espèces que la forêt tropicale, ils subissent pourtant une grave perte de biodiversité, causée notamment par l’agriculture intensive et l’étalement urbain. Un déclin qui semble irréversible : selon l’Organisation des Nations unies, 90 % des terres arables pourraient disparaître d’ici 2050. » Un déclin qui semble irréversible ! On déserte la sphère scientifique, car ni la science ni l’ONU n’ont tenu ce genre de propos.
Qu’est-ce qu’une terre arable ?
La terre d’où provient en grande partie notre nourriture. Si 90 % de ces sols disparaissaient, ce serait la fin de l’humanité et de toute vie sur la terre ferme. En d’autres termes, cela équivaudrait à la fin du monde. Alors, pourquoi Arte a-t-elle choisi une hypothèse qui repose sur une vision apocalyptique des choses ? Mystère.
Qu’a réellement dit l’ONU à ce sujet ?
Tout d’abord, elle n’a jamais affirmé que 90 % des terres arables pourraient disparaître d’ici 2050, elle a seulement signalé une baisse des rendements à l’instar de tous les experts, y compris ceux du GIEC : « L’érosion des sols constitue la menace la plus importante. Elle pourrait entraîner, d’ici à 2050, une perte de 10% environ de la production agricole. » (Source – 28/01/22)
Arte pointe des causes simplistes !
L’agriculture intensive et l’urbanisation ne sont que la conséquence, la cause est politique, outre d’être combinée à une démographie galopante et à une augmentation vertigineuse de nos propres besoins en eau, en énergie et en une nourriture riche et diversifiée. L’agriculture intensive partage avec l’industrie de ne viser que les hauts rendements et la performance sur les marchés internationaux. Il convient aussi de rappeler que la compétitivité des exploitations agricoles est une injonction politique inscrite jusque dans nos lois.
5 m à l’heure !
Quant aux vers de terre, on apprend qu’ils se déplaceraient de 5 m à l’heure sous la terre ! Sous-entendu que les vers de terre se déplaceraient tous à cette vitesse-là. Information erronée, puisque les endogés, majoritaires dans un sol, doivent creuser pour avancer ! Et à travers les images, on nous montre qu’une seule espèce, une qui n’a pas besoin de creuser puisqu’elle vit dans des galeries permanentes comme la taupe ou le lapin. À aucun moment, cela n’est expliqué.
Pire encore, les vers de terre sont présentés comme un monde monolithique !
Extrait de l’Éloge du ver de terre, tome 2 : « Le monde des vers de terre n’est pas un, il est multiple, pluriel, mais nous préférons croire qu’ils seraient tous issus du même moule, monoblocs et gluants. Un monde si diversifié à l’image des mammifères, qu’il y a autant de différences entre un ver de compost et un ver de terre commun, qu’entre une souris et un… » On nous dit également qu’ils vont devoir vivre plus profondément pour échapper au réchauffement climatique ! Curieux raisonnement, puisque leur nourriture se trouve dans les 20 premiers centimètres du sol !
Oui, Arte s’est pris les pieds dans le ver de terre en les réduisant à de simples consommateurs de sols
C’est dommage, car il y avait tant de belles choses à dire sur ces espèces, et en particulier sur le lombric terrestre, le premier animal étudié dès la première moitié du XIXe siècle d’un point de vue éthologique. Et pourquoi il y a 200 ans, les chercheurs se sont-ils intéressés à lui plutôt qu’aux autres ? Parce qu’il bousculait leurs appris, notamment en « cultivant » sa propre nourriture comme certaines espèces de fourmis et de termites.
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En replay jusqu’au 20 juillet. Réalisation : Anna Pflüger, Allemagne, 2022. Attention, je ne mets nullement en cause les auteurs du film. S’ils veulent travailler… ils n’ont pas d’autres choix que d’être aux ordres du patron de la chaîne, et, par délégation, de son directeur des programmes, personnage tout-puissant.
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