La culture sur buttes est souvent présentée comme un principe fondamental de la permaculture, un fer de lance de l’abondance et un signe d’appartenance à une tribu.
Un peu d’histoire
La culture sur buttes fait partie des plus anciennes techniques agricoles. Sans nul doute l’une des plus audacieuses avec celle en terrasse, puisque le seul but de ces techniques était de rendre cultivables des milieux incultes. Buttes et terrasses sont donc des réponses aux conditions environnementales, puisqu’on n’implante pas une butte comme un abri de jardin. On l’implante seulement quand le milieu est très humide ou inondable, trop sec ou sableux, ou lorsque l’épaisseur du sol est trop faible. Dans la grande majorité des cas, en édifier une sous nos latitudes est contre-nature. Mais voilà, le jardinage de loisirs est aujourd’hui durement touché par la pensée magique et l’idée qu’un peu d’eau, beaucoup d’amour et le génie du sol, suffiraient à faire pousser.
Les réseaux sociaux véhiculent
ce que les gens ont envie d’entendre,
l’imaginaire fait ensuite son œuvre.
Un imaginaire qui prend sa source dans l’idée de vouloir récolter beaucoup avec un minimum d’efforts. Sans apprentissage, on veut savoir tout de suite ; YouTube et Facebook ont fait leur succès. Pas de pesticides, pas d’engrais, et même si le sol est détruit avant d’être « reconstruit » à l’image de son créateur, qu’importe, la butte est censée s’émanciper du fonctionnement naturel des écosystèmes ! Un micro-jardin d’Éden, un sol augmenté grâce à l’intelligence humaine et la puissance créatrice de la nature.
Où créer une butte ?
Traditionnellement, les buttes étaient édifiées dans les zones inondables ou gorgées d’eau, donc impropres à la culture. L’agriculteur n’importait ni terre, bois ou paille, il tirait seulement la terre pour la surélever. Puis, 2 à 3 fois an, il arrachait les grandes herbes sauvages, qui poussaient autour de ses buttes, pour les mettre dessus, nourrissant ainsi l’humus. La science a depuis confirmé ce savoir ancestral : un sol se nourrit par le dessus et non par dessous.
Il y a un sens à respecter, on se nourrit bien par la bouche et non par l’anus ; un sol ne fonctionne pas autrement. Mais cela n’empêche pas certains apprentis permaculteurs de gaver le sol de leurs buttes de bois comme on fait le plein de carburant. Quant à l’eau, une butte étant théoriquement implantée en milieu humide, voire hydromorphe, elle remonte par capillarité vers les racines. C’est le génie de cette technique : la plante a les pieds au sec tout en ayant continuellement de l’eau à disposition.
La planche,
une alternative aux buttes
Peu connues, car moins spectaculaires, les buttes à plat ou planches permanentes fonctionnent sur le même principe. Outre d’être très simple à mettre en place, elles conjuguent esthétisme et efficacité. En effet, si une butte en zone humide peut s’élever jusqu’à 70 cm, une planche permanente plafonne à 20 cm. Avec une profondeur de sol de 30 cm, 20 de plus suffisent largement pour mettre à l’aise ses plantes.
Par ailleurs, Le Dictionnaire du cultivateur, de 1760, mentionne une charrue spéciale pour créer de petites buttes en « forme de dos d’âne » ou des planches. Appelée charrue à billonner, billonner vient de billon : « Le billon est une éminence formée par la Charrue, & qui est bordée de deux sillons. » Pour les sols humides et froids, ces petites buttes permettaient autrefois de les essuyer et de les réchauffer pour y cultiver du blé.
Le marais de Brouage en exemple
Ce marais, l’ancien golfe de Saintonge, situé entre Rochefort et Marennes en Charente-Maritime, quand il n’a pas été aplati pour être cultivé, est constitué d’une succession de bosses, jas et fossés pour drainer l’eau. Les jas étaient à l’origine les bassins des salines. De petites écluses servent encore aujourd’hui à réguler le niveau d’eau des fossés, et par conséquent, des jas.
Le principe est simple. Pendant l’hiver, le marais se gorge d’eau. Au printemps, l’herbe pousse sur les bosses (buttes), mais pas dans les jas qui sont remplis d’eau. L’été c’est l’inverse, les bosses sèches et l’herbe pousse dans les jas. Cette technique, de gestion de l’eau dans ces prairies permanentes, permettait autrefois d’y laisser les vaches plus de 6 mois l’année et en quasi-liberté. Le plus compliqué était parfois de les ramener à la ferme à l’automne, car certaines avaient pris goût à la vie sauvage. Présentement, on peut parler de perma-élevage ou d’élevage écologique.
L’eau
est le maître des horloges
Quand elles ne sont pas implantées en milieu humide, les buttes ont tendance à stresser les plantes, le stress hydrique étant la première cause de la montée subite en graines. Se sentant en danger, elles raccourcissent leur durée de développement pour se reproduire au plus vite. Mais de nombreux travaux scientifiques montrent aussi que leur « descendance » va « s’en souvenir » !
Elles vont se souvenir que le milieu est hostile, stressant, car pauvre en eau, l’eau et la lumière étant prépondérantes au bon fonctionnement du cycle biochimique de la photosynthèse. De ce fait, leurs générations futures pourront ajuster les mouvements d’eau dans leurs racines au milieu, mais au détriment de « l’abondance ». Par ailleurs, ce manque d’eau, induit par les buttes, a aussi des conséquences sur la fertilité du sol, en contrariant le développement des communautés affectées à cette charge : vers de terre, bactéries, champignons…
C’est l’environnement qui impose
d’en créer une, pas l’inverse
Nous le savons depuis peu, un sol fonctionne comme un intestin humain inversé. Inversé, parce que les plantes plongent leurs tentacules (racines) dans cet intestin qui les relie toutes les unes les autres pour y aspirer leurs nutriments.
Donc, en dehors d’un choix esthétique, parce que les buttes et les mottes de culture créent aussi des volumes intéressants pour les paysagistes, vous devez savoir que chaque coup de pelle ou de pioche détruira probablement un système qui fonctionnait très bien jusque-là, mais qui avait seulement besoin d’être nourri pour stimuler son activité biologique et devenir productif. C’est clairement l’environnement qui impose d’en créer une, pas au jardinier de l’imposer à ses plantes.