Contrairement à d’autres solanacées telles que la tomate, l’aubergine, le poivron ou le tabac, la pomme de terre est une plante vivace. Mais le mot « vivace » ne sous-entend pas pour autant qu’elle soit perpétuelle, puisqu’en dehors du sol, la durée de vie d’une variété n’est que de 6 à 10 mois, après quoi elle meurt. Et à l’exemple de la vigne, du pommier ou du poirier : les caractères génétiques de la mère ne sont pas transmis par les graines. Aussi, une variété se conserve uniquement par la reproduction de ses tubercules ou par bouturage.
Les conserver pendant l’hiver
Selon la précocité de la variété, la conservation pose problème, la patate restant un organisme vivant qui ne demande qu’à pousser. Et si cette vivacité lui a permis de conquérir le monde, elle doit être aussi contrôlée, car notre pomme de terre ne manquera jamais une occasion de sortir une ou plusieurs tiges aériennes afin d’aller puiser la lumière pour démarrer le processus bioénergétique de la photosynthèse.
Pour ce faire, elle puise dans ses réserves de sucre, c’est-à-dire l’amidon, sa forme de graisse, et elle est capable de développer une énergie considérable pour atteindre son but : se dupliquer. Outre la variété, 2 facteurs influencent sa décision : la température et les mouvements de l’air.
D’une vivacité inouïe, ses germes sont capables de s’enfiler dans le moindre interstice pour y forcer le passage et rejoindre la lumière. Cependant, plus elle dépense d’énergie, plus elle s’épuise et épuise ses réserves de sucre. Et si d’aventure un tubercule est replanté avec ses longs germes blancs, épuisée, la plante sera peu productive, sinon prompt qu’à ne faire que de petits tubercules pour assurer sa survie.
Pour établir un parallèle, la pomme de terre stocke ses énergie sous forme d’amidon, quand nous, nous la stockons sous forme de graisse. Cependant, la finalité de ces réserves énergétiques est la même : nourrir le développement cellulaire.
Les variétés
Plus elle est dite précoce, plus elle produira ses tubercules tôt dans la saison, mais plus tôt elle germera, parfois dès le mois d’octobre. A l’inverse, plus une variété est dite tardive, plus elle germera tard, à l’exemple des SARPO, ces variétés réputées pour être ultra résistantes au mildiou. À tel point que certaines comme, l’Axoma la Mira ou la Bleue du Danube, peuvent germer pour la première fois de la saison qu’à partir du mois de mai… Ces souches ont été sélectionnées en Bulgarie par : Istavaán Sárvári.
Ceci dit, pour un stockage amateur, la dormance d’une variété est un facteur déterminant pour une bonne conservation. La dormance, c’est ce temps où elle « dort » :). Comme la Limousine (Zen), une précoce excellente et très résistante au mildiou, mais qui doit être contrôlée au moins 2 fois par mois, car elle a le sommeil léger !
Les anti-germinatifs
Le germe étant une tige, comme une « mauvaise herbe », l’industrie lui a créé son « herbicide », des pesticides qui bloquent la germination. Bloquer veut dire augmenter la durée de la dormance. Souvent à base de chlorprophame, une molécule hautement toxique pour la santé et l’environnement, elle est pointée comme un perturbateur endocrinien sérieux. À bannir.
Depuis 2010, 2 anti-germinatifs « naturels » ont été homologués en agriculture biologique : l’huile essentielle de menthe et l’éthylène. À noter que l‘huile essentielle de menthe détruit les germes. Un moyen à écarter pour la reproduction. En plus, sa mise en œuvre la réserve à un usage professionnel. Idem pour l’éthylène où les pommes de terre sont conservées dans une atmosphère saturée par ce gaz d’hydrocarbure. La technique a l’avantage de ne pas détruire les germes, puisque le gaz agit comme une hormone végétale. En revanche, ça coûte une blinde en énergie… En re revanche, les industriels présentent l’éthylène comme un gaz d’origine naturel !!! Certes, mais présentement, il est issu de la chimie.
Que penser de ces fruits qui en dégagent
naturellement lors de leur mûrissement ?
Comme la pomme. Suffit-il de placer une pomme de garde au milieu de ses patates ? De garde, parce qu’elles se gardent longtemps. Parfois, jusqu’au mois de mai, et parce qu’elles ont été cueillies vertes et vont finir de mûrir en cave. Et c’est lors du mûrissement que le fruit dégage cette phytohormone. Que faut-il attendre de cette technique ? Pas grand-chose, au mieux un léger trouble de la germination chez ses voisines de palier.
Quant à l‘huile essentielle de menthe, quelques gouttes au fond du cageot n’y feront rien. Pas plus que de mettre ses patates sur un lit de menthe. Juste la machine, pour disperser pendant 24 heures un brouillard mentholé, coûte plus de 3 000 € ! Toutefois, pour une production familiale, rien n’interdit d’expérimenter des techniques alternatives. En utilisant un fumigateur domestique pour huiles essentielles, ou en détournant un vapoteur de sa finalité ? Résultats non garantis.
Soit on l’achète, soit on la « fabrique ». La variété utilisée serait la menthe verte (spicata). L’une des plus odorantes. La menthe basilic sent également très fort. Quant aux doses pour la fumigation, selon quelques notices, elle serait de 80 ml d’huile par tonne la première fois, suivie d’une application toutes les 3 semaines à la dose d’entretien de 30ml.
En conclusion, ce n’est pas parce que c’est naturel que ce n’est pas toxique. Mais son avantage serait qu’elle laisse très peu de résidus sur les tubercules, des résidus entièrement biodégradables et qui n’auraient pas d’impact gustatif, contrairement à l’éthylène, qui peut, en fonction de la variété, légèrement l’affecter.
La t° de conservation
Un facteur incontournable. On dit sur la « toile » qu’elle serait de 10°C ! Plus sérieusement, elle est idéalement plus proche de zéro, entre 2 et 4°C. À savoir également que le froid peut accélérer le brunissement de l’amidon suivant les variétés. L’idée, c’est de réduire au minimum l’activité cellulaire et d’envoyer à la plante que les conditions climatiques ne sont pas favorables à son développement.
La ventilation et la lumière
Pour des températures supérieures, il faut intensifier la ventilation puisqu’elle stimule la dormance. Fais dodo, Colas mon p’tit frère, fais dodo, t’auras du lolo. Peut-on émettre l’hypothèse qu’une circulation d’air stimule le vent et informe la pomme de terre qu’elle serait sur le sol et non dans le sol ? La théorie est séduisante, car nue comme un ver et dans les courants d’air, ses chances de survie sont égales à zéro. Raison pour laquelle, au contact de la lumière, la pomme de terre verdit pour se protéger ; une excellente raison pour la conserver à l’abri de la lumière, sauf pour les tubercules destinés à la reproduction.
En résumé, pour une consommation familiale, outre la variété, la ventilation, la température et l’absence de lumière sont des critères de premier choix.
Les Reproduire
Au nombre des idées reçues en pleine poire, la patate n’est pas en reste. Et je n’étais pas le dernier à en avoir plein la tête 😁, jusqu’au jour où j’ai rencontré Monsieur Dubreuil, qui, avec son équipe, sélectionne les patates que nous mangeons et mangerons demain.
Il est le créateur d’une vingtaine de variétés dont la Manon, la Florette, la Laurette, la Duchesse, l’Altesse, la Coquine, la Cheyenne… En France, 4 obtenteurs travaillent à la création variétale dont la GROCEP située à 30 km au nord de Limoges. Les obtenteurs créent des variétés dont ils sont propriétaires pendant 30 ans. Passé ce délai, elles tombent dans le domaine public comme la Charlotte, la Binje, la Ratte… Pour l’anecdote, la France est le second producteur de plants au monde, derrière la Hollande, et le premier exportateur mondial de pommes de terre.
Extraits de notre conversation (2017)
Combien y a-t-il de variétés en France ?
➖ Actuellement, environ 200 000, me répond-il
Arf… 😟c’est beaucoup plus que j’imaginais ! Et ici, combien en avez-vous ?
➖ 45 000
Ouah ! Se moquait-il de moi ?
Et combien de variétés sont commercialisées ?
➖ Environ 300, tous producteurs confondus
Combien de variétés sont disponibles pour les jardiniers ?
➖Moins de 30…
Même si ce centre de recherche n’est pas orienté vers la culture biologique, le travail de sélection y est réalisé avec une très grande rigueur. Je suis impressionné, on sent le travail à l’ancienne, la sélection prenant autant en compte la sensibilité aux parasites que l’aspect visuel, productif et gustatif. Bref, une pomme de terre qui ressemble à une pomme de terre et avec du goût.
Comment régénéreR
un plant de pomme de terre ?
Ma question paraissait fondée, puisque combien d’entre nous ont racheté des plants « neufs » parce que les nôtres avaient dégénéré… Avec un petit sourire bienveillant, il me répond :
➖ Il est impossible de régénérer un plant de pomme de terre, puisqu’il ne dégénère pas 😁
Ah, le bougre, c’était ma soirée…😟
Donc, les plants « neufs » ont les mêmes qualités que les vieux ?
➖ Absolument, la seule différence, c’est qu’ils sont garantis sur le plan sanitaire.
C’est-à-dire
➖ Qu’ils sont indemnes de virus ! Plusieurs espèces de pucerons peuvent coloniser les tiges et les feuilles de pommes de terre et les inoculer quand ils en sont porteurs ; des virus qui descendent dans les tubercules et infectent les futurs plants.
Comment faire ?
➖ Tout simplement en supprimant toutes les plantes porteuses d’une maladie virale, et en ne replantant jamais un tubercule issu d’un pied malade.
Et la grosseur des plants, a-t-elle une importance ?
➖ Aucune. La seule chose qui compte, ce sont les yeux.
Un œil = une tige, et une tige = 2 à 4 pommes de terre
En multipliant le poids moyen d’un tubercule par le nombre de tiges et de plants, on peut déjà estimer la récolte dans des conditions climatiques « ordinaires ».
En conclusion
Les obtenteurs créent des variétés, mais au final ce sont les distributeurs qui décident si une variété fera fortune ou pas. Si au bout de 2 ou 3 ans, elle est boudée par le marché, la variété est supprimée. Et ce ne sont pas forcément les meilleures qui s’imposent… Les sélectionneurs proposent, les distributeurs disposent. Avec certains regrets, M. Dubreuil me glisse qu’il avait sélectionné d’excellentes variétés, tant sur le plan gustatif que résistantes aux parasites, mais qu’elles n’ont jamais vu le jour.
Et une variété de patates, qui ne voit pas le jour, disparait à tout jamais. Même si ses fruits contiennent une bonne centaine de graines, toutes portent de nouvelles variétés… Chaque plant pouvant porter plusieurs fruits, donc plusieurs centaines de nouvelles variétés 🤪
Pourquoi le mildiou
aime la patate
99,9 % des pommes de terre bio présentes dans les supermarchés, ou sur les marchés, ont été protégées par un pesticide de contact.
Un pesticide qui a fêté ses 150 ans dernièrement, peut être le plus vieux pesticide de synthèse connu, le seul autorisé dans toutes les agricultures : bio, AB, chimique, agroécologique… La Bouillie bordelaise, un pesticide dont le classement toxicologique est : nocif pour la santé, dangereux pour l’environnement. Pas mieux que le glyphosate, la funeste molécule du Roundup !
Avant sa fortuite découverte, ce pseudo champignon, aujourd’hui apparenté aux algues brunes, et qui peut ravager toute une culture en quelques jours, a tué plus d’un million de personnes au 19ème siècle lors de la grande famine irlandaise.
Le mildiou = un million de morts
Et pendant des années, il a affamé au gré du temps et de ses humeurs, quantités de paysans européens. Parce qu’hier comme aujourd’hui, quand il manque de la nourriture, ce sont toujours les plus pauvres qui trinquent en premier ! En France, le mildiou est apparu pour la première fois vers 1870.
À la même époque, il y a 150 ans, un autre pesticide voit le jour aux États-Unis, toujours sur une base cuivrée, un acéto-arsénite de cuivre, appelé vert de Paris, pour lutter contre un petit coléoptère descendu de ses montagnes : le doryphore. L’autre grand prédateur de la pomme de terre. Depuis, le gaillard a colonisé la planète en dépit d’une lutte chimique acharnée.
Une plante exotique
Exotique par opposition à indigène. Exotique, car nouvellement importée par opposition au blé qui a eu le temps de s’adapter et de modifier son génome. Une plante unique en regard à ses exigences génétiques. Unique comme exceptionnelle, car elle est la seule à produire autant de calories (énergie) au M2 et en si peu de temps : 3 mois. En échange, elle épuise les sols.
Il y a une règle d’or
Plus une espèce est cultivée, plus ceux, qui s’en nourrissent, se développent.
Logique. Qui s’attablerait autour d’une table vide ? Raison pour laquelle une monoculture concentre tous ses consommateurs. Il y a une autre règle d’or : sans agriculture, l’humanité se réduirait à 5 à 10 millions d’individus comme il y a 12 000 ans. Ceci pour dire que la monoculture n’est qu’une réponse à 8 milliards de têtes qui, 3 fois par jour, bouffent. Pour tous les parasites, la monoculture est une aubaine.
Quelle est l’alternative ?
– Si l’alternative est de remplacer un produit par un autre, afin préserver le système commercial qui vit sur le dos des agriculteurs et des jardiniers, on observe que vu le comportement du mildiou, c’est une fuite en avant qui ne réglera jamais rien. C’est le système en vigueur.
– Si l’alternative est de revenir à la culture de vieilles variétés, c’est pire. La pression est telle, puisqu’aujourd’hui, toutes sont y hypersensibles au mildiou. Pour ma part, j’ai arrêté de cultiver une Rolls-Royce comme la Ratte. La seule alternative, si on ne veut pas utiliser de produits, c’est de cultiver des variétés qui résistent.